Reportage
"Les lieux-dits, ça fait partie de notre identité" : les habitants des petites communes contrariés par l'obligation d'adressage

À compter du 1er juin, toutes les communes de France seront dans l'obligation de donner un nom et un numéro aux voies qui n'en avaient pas. Les habitants, attachés à leur patrimoine, sont réticents.
Article rédigé par Valentin Dunate
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Panneau de signalisation à l'entrée de Passavant-sur-Layon. (VALENTIN DUNATE / FRANCEINFO)

Dans certains villages, jusqu'à présent, il suffisait de dire qu'on habitait à tel endroit et d'ajouter qu'on était "la maison aux volets bleus" pour indiquer son adresse. Les habitants et les facteurs s'y retrouvaient. Désormais, toutes les communes ont l'obligation de réaliser ce qu'on appelle "l'adressage" : donner un nom et un numéro aux rues, aux chemins et à toutes les voies qui n'en avaient pas. Et il y en a beaucoup.

Parfois ce nouvel adressage se passe très mal. À 60 km d'Angers, en juin 2022, le maire du petit village de Passavant-sur-Layon, a décidé de changer les noms des rues pour faciliter le travail des secours, des postiers ou encore des livreurs. Un changement effectué sans concertation avec les 127 habitants. Résultat : onze lieux-dits et leurs petits panneaux disparaissent du paysage. Claudine Bonno habitait "lieu-dit Le Gincherau, Passavant-sur-Layon". Pour lui envoyer un courrier, désormais, il faut écrire à sa nouvelle adresse : "1 599, route d'Aquitaine." 1 599, car la maison est située à... 1 599 mètres du début de la voie.

"Mon identité, c'est Gincherau"

Terminé le lieu-dit. "Le Gincherau et les lieux-dits du village font partie de notre patrimoine, ça fait partie de notre identité. Le Gincherau ça a un sens. Il y en a un en France, c'est nous ! On peut ne pas oublier notre histoire pour une question de simplification administrative, regrette Claudine Bonno. On appelle les gens par leur lieu-dit. Mon identité c'est Gincherau, on va au Gincherau", conclut l'habitante.

Sa famille a protesté et elle n'a pas la seule. Le maire n'a pas voulu revenir sur sa décision. Le conseil municipal a démissionné et de nouvelles élections ont été organisées en septembre dernier. Le nouveau maire, Olivier Lecomte, un vigneron, a pour mission de remettre le nom  de tous les lieux-dits du village : "On n'est pas des obscurantistes, on n'est pas attachés à tout ce qui était bon dans le temps et soi-disant moins bien aujourd'hui. Il ne faut pas exagérer non plus. Il faut s'adapter mais l'adaptation à la modernité, ça n'empêche pas de conserver ce qui nous est le plus cher."

Un attachement très fort

Stéphane Gendron est toponymiste, il travaille sur l'origine et la signification des noms de lieux. Il souligne qu'au-delà de l'histoire, du patrimoine local, ils font partie de notre langage. C'est ainsi que l'expression "on va au Gincherau" est entrée dans le langage courant : "Les noms de lieux ne sont pas indépendants du langage, de la parole et de la communication. Ils en font partie. On ne s'en rend peut-être pas compte mais on les utilise tout le temps, en permanence. Et ils jouent un rôle assez fondamental."

"Risquer de faire disparaître une part de cette communication, poursuit Stéphane Gendron, c'est quelque chose d'assez violent. Parce que c'est ça aussi la force du nom de lieux, ça peut réveiller un certain nombre d'affects, d'émotions très fortes. Ça joue un rôle fondamental." C'est peut-être pour ça que tant de communes ont du mal à rebaptiser des noms de rues ou de petits hameaux : il s'y cache des souvenirs, des histoires, des sentiments...

Jusqu'au 1er juin pour faire les démarches

Pourtant les 35 000 communes de France n'ont pas le choix, elles ont jusqu'au 1er juin pour nommer et numéroter toutes leurs voies. Celles de plus de 2 000 habitants avaient jusqu'au 1er janvier pour se mettre dans les clous : sauf que 6 sur 10 ne l'ont pas fait. Les communes de moins de 2 000 habitants, elles, ont donc jusqu'au 1er juin : plus de la moitié n'a pas encore réalisé ce nouvel adressage. 

Ariane Rose travaille à l'ANCT, l'Agence nationale de la cohésion des territoires, où elle est chargée d'accompagner les communes à mettre à jour toutes ces adresses : "C'est vrai qu'on n'y est pas encore. Le frein principal c'est le temps dédié à cette démarche. Nous, on leur donne déjà des données qui existaient du cadastre, de l'IGN (Institut national de l'information géographique), des opérateurs télécoms...  Mais parfois elles partent de zéro donc il y a un vrai travail de fond à faire. Faire accepter ce changement d'adresse à la population, ça ne se fait pas d'un claquement de doigts."

Il n'y a pas de sanction pour les mairies. En revanche, si jamais les pompiers arrivent trop tard pour secourir une personne car ils se perdent dans un hameau, le maire pourrait être attaqué en justice.

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