Reportage
Ouverture de la chasse : dans le Morbihan, la prolifération du sanglier devient un enjeu quotidien pour les habitants, les agriculteurs et même les chasseurs

Dans le Morbihan, certains habitants se tournent vers la chasse pour tenter d'enrayer la présence de sangliers, nuisibles pour les agriculteurs.
Article rédigé par Farida Nouar
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Jean Eveno et Henri Leporho, constatant les dégâts faits par un sanglier dans le jardin d'Henri. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

La chasse ouvre dans une partie de la France, dimanche 8 septembre. Le week-end prochain, ce sera le tour d’autres départements. Dans plusieurs régions, une bête est dans le viseur des chasseurs : il s’agit du sanglier qui prolifère et devient ingérable, numériquement et financièrement. C’est le cas dans le Morbihan, en Bretagne, où ce problème a eu raison d’un président de société de chasse. 

Chassé par les sangliers, "un nuisible", c'est un comble pour Jean Eveno, président pendant plus de 30 ans de la société de chasse de Locqueltas, petite commune du Morbihan. Il a jeté l’éponge il y a tout juste une semaine. "J'ai démissionné parce que j'en avais marre", se désole-t-il.

Car sa commune est devenue "la cantine" des sangliers du coin, qui, une fois le ventre bien rempli, se réfugient dans leur "dortoir", à savoir le camp militaire de Meucon, situé près du village. Un sanctuaire où il est interdit de chasser. Et la nuit, quand les bêtes quittent le camp, c’est pour vagabonder à leur aise et pour constater les dégâts.

Des dégâts qui coûtent cher

Premier arrêt : chez Henri Leporho, un habitant et ami du chasseur dont le terrain est mitoyen du camp. Dans son jardin, une parcelle est complètement retournée. "La terre a été remuée en rouleau sur 10 ou 15 cm de profondeur, et 30 mètres plus bas, il y a les arbres fruitiers. Pratiquement tous les pieds d'arbres sont aussi ravagés autour." Ce n’est pas la première fois que les sangliers lui rendent visite, mais pour réparer les dégâts, cette fois, la facture est salée, il en a "pratiquement pour 8 000 euros". 

Impossible de clôturer son terrain, vu la végétation. Ses courriers à la mairie, à la Fédération de chasse restent sans réponse. Lui aussi en a assez, il a donc décidé de passer son permis de chasse. "À ma manière, j'essaye de participer à la lutte contre les sangliers."

"Je suis né dans la maison à côté il y a 72 ans et je n'ai jamais vu autant de sangliers que ces dernières années. Ça prolifère très vite."

Henri Leporho

à franceinfo

Une femelle fait environ trois portées en deux ans, et chaque portée compte en moyenne six marcassins. La baisse du nombre de chasseurs aussi explique cette prolifération, mais il y a également d’autres facteurs, détaille Jean Eveno. "Avant, il y avait des hivers rigoureux. Les petits mouraient des fois, mais là, il y a assez à manger. Il ne fait pas froid, ils sont heureux."

Des indemnisations payées par les fédérations

Les agriculteurs aussi en sont victimes. Direction cette fois un champ de maïs, où tout est par terre. "Ils prennent le jus, c'est très sucré, ils adorent ça." Ici, il y en a pour 1 000 euros de dégâts, assure l'agriculteur. Et c’est à la fédération de chasse du Morbihan d’indemniser les agriculteurs à la suite de ces dégâts.

Le champ de maïs d'un agriculteur piétiné par un sanglier. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Mais elle ne veut plus assumer seule ces indemnisations. La saison dernière, elle a versé 450 000 euros d’indemnités aux agriculteurs du département, ce qui représente à peu près un tiers de son budget, contre 250 000 en 2022. L’État apporte une aide financière, mais sur trois ans, elle ne représente que 100 000 euros, précise la Fédération. Indemniser alors que les périmètres de chasse se resserrent est aberrant, affirme Bruno Jaffré, directeur de la fédération du Morbihan.

"Les chasseurs ont de moins en moins accès aux territoires de chasse puisqu'on estime que 40 % des territoires sont non-chassés. C'est pour ça que c'est une demande très forte des chasseurs et des fédérations des chasseurs, que l'Étate prenne en charge tout ou partie de cette indemnisation puisque le sanglier est une espèce qui n'appartient à personne."

"Il n'y a pas de raison que, aujourd'hui, les chasseurs qui sont les seuls à apporter une solution à sa régulation, en subissent en plus le coût."

Bruno Jaffré, directeur de la fédération de chasse du Morbihan

à franceinfo

Il va bien falloir se remettre autour de la table pour trouver des solutions pérennes et financières, insiste de son côté la FDSEA 56. Anthony Kerhervé est le secrétaire adjoint de la fédération, il est aussi agriculteur et chasseur, et il prévient "ça ne va pas être une mince affaire". "À l'État aussi nous donner des solutions, de trouver des moyens, de mettre en place la boîte à outils qu'on a déjà essayé de mettre ensemble entre agriculteurs et chasseurs. Maintenant, il faut trouver le compromis pour essayer d'avancer ensemble et éviter la dérive."

Un modèle "qui ne marche plus"

De leur côté, les écologistes pointent une incohérence qui explique aussi en partie la prolifération des sangliers. Paul Cahu est le porte-parole d’Europe Écologie les Verts du pays de Vannes. "En Bretagne, on est dans une situation un peu cocasse. Il y a beaucoup de plantations de maïs, parce qu'on fait de l'élevage intensif. On entasse des cochons d'élevage par dizaines de milliers pour manger du saucisson. Et puis on va faire proliférer les populations de sangliers, que personne ne va manger et qui vont manger du maïs. Donc il faut penser à autre chose et ce n'est pas forcément continuer, la tête baissée, dans un modèle qui ne marche plus." 

Les chasseurs du Morbihan militent eux pour un élargissement des périodes de chasse, ou pour des méthodes comme le tir à l’arc : quatre archers viennent d’ailleurs d’obtenir le feu vert pour chasser le sanglier.

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