Droit d'asile en Europe : forte hausse des demandes en Allemagne et en Espagne

Un nombre record de 142 500 personnes ont demandé l'asile en France en 2023, soit une augmentation de 8,6%. Cette hausse est cependant bien moins importante que celles observées en Allemagne (+51%) et en Espagne (+37%). Nos correspondants décrivent la situation sur place.
Article rédigé par David Philippot, Mathieu de Taillac
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Centre pour réfugiés à Berlin, le 25 janvier 2024. (HANNES P ALBERT / DPA/ AFP)

Dans le classement européen des demandes d'asile, la France figure à la troisième place, loin derrière l’Allemagne. Alors que la France a enregistré 142 000 demandes en 2023, avec une hausse de 8,6%, l'Allemagne est la première du classement : 350 000 personnes ont formulé une demande d’asile en 2023. C’est une hausse spectaculaire de plus de 50 % par rapport à 2022.

Si en France, l'Afghanistan reste pour la sixième année consécutive le premier pays de provenance des demandeurs d'asile (avec plus de 17 500 premières demandes), il n'en est pas de même en Espagne. Là-bas, les trois premiers pays d’origine des demandeurs sont le Venezuela (plus de 60 000 demandes en 2023), la Colombie (53 000), et le Pérou (près de 14 000). Ces pays représentent à eux trois 79% des demandes d’asile reçues en 2023 en Espagne.

En Allemagne, un besoin de main-d’œuvre et la pression de l'extrême droite

Les chiffres concernant l'Allemagne ne tiennent pas compte de la venue des Ukrainiens. Ceux-ci bénéficient, comme réfugiés de guerre, d’un statut à part et d’une protection temporaire automatique (ils sont arrivés en 2023 au nombre d’une centaine de milliers). Les 50% de hausse dans les demandes d'asile concerne donc les autres pays. Et c'est une moyenne, le pic est monté à 80% au premier semestre 2023 et puis à la fin de l’été, il y a eu un tournant. La progression de l'extrême droite aux élections régionales a poussé les partis au pouvoir à serrer la vis. De nouvelles lois ont été adoptées et les contrôles aux frontières renforcés. L’immigration clandestine a chuté de 40% à la fin de l’année et le ministère de l’Intérieur annonce des expulsions d’illégaux en hausse. Les projections pour 2024 tablent plutôt sur un chiffre de 200 000 arrivées en Allemagne

Depuis l'accueil massif des réfugiés de la guerre en Syrie, plus d’un million en 2015-2016, l'opinion a opéré un virage. À l’automne, dans un sondage INSA, les trois quarts des personnes interrogées considéraient que l’Allemagne ne devait plus prendre aucun réfugié supplémentaire, faute de capacités épuisées. Les maires dans les communes appellent à l’aide depuis des mois. Des milliers de places d’hébergement font défaut dans beaucoup de régions et il manque également des centaines d’enseignants pour faire la classe aux enfants. Mais une des priorités du gouvernement actuel est de retrouver l’équilibre budgétaire, pas de financer la solidarité.

L’Allemagne continue donc de fonctionner à tâtons, entre une fermeté affichée et son intérêt économique et social. Face à la chute démographique, le pays, pour maintenir son niveau de vie, a besoin de 400 000 nouveaux entrants par an. Ce sont les immigrés qui tiennent souvent à bout de bras un système de santé déjà sous tension. Dans le Brandebourg, par exemple, un médecin sur cinq est étranger. Le sentiment de peur progresse malgré tout à l'encontre de l'immigration. En Saxe, d'après un baromètre publié mercredi, plus de la moitié des gens interrogés "se sentent étrangers dans leur propre pays", à cause de la présence des étrangers, qui ne représente pourtant que 7 % de la population dans cette région. Une situation que l’extrême droite, deuxième parti dans les sondages, instrumentalise en cette année d’élections.

En Espagne, des conditions d'accueil pas toujours à la hauteur et une xénophobie qui augmente

L’Espagne a enregistré en 2023 une hausse des demandes d'asile atteignant +37%. C'est un des pays européens où le nombre de demandes reste le plus élevé. Mais si on pense aux images des migrants arrivant sur les plages des Canaries ou d’Andalousie, sur des embarcations de fortune, les demandeurs en nombre sont d'abord originaires du Vénézuela, de Colombie et du Pérou. Nuria Díaz, porte-parole de CEAR, ONG d’aide aux réfugiés, explique : "La plupart des médias s’intéressent à nos frontières au sud, et cela donne l’impression que la majorité des demandeurs d’asiles arrivent par la mer dans des embarcations de fortune, mais ce n'est pas la réalité. Aujourd’hui la majorité des personnes qui demandent l’asile arrivent en avion." Les ressortissants latino-américains sont évidemment attirés par la proximité de la culture et de la langue.

Mais l’Espagne n'est pas le pays le plus généreux du continent, avec 16,5% de concessions du statut de réfugié, contre 38% pour la moyenne européenne. L’Espagne délivre néanmoins des permis de résidence et de travail pour motifs humanitaires. Ce sont surtout les Vénézuéliens qui en bénéficient, 41 000 personnes ont reçu cette autorisation valable un an. Ce statut est moins protecteur que celui de réfugié mais n’entre pas dans les statistiques sur le droit d’asile.

Comme ailleurs, le sujet alimente les débats politiques. L’extrême droite critique l’accueil des migrants et des réfugiés, en particulier ceux venus d’Afrique ou de pays musulmans. Nuria Díaz, de CEAR, déplore : "On observe une tendance en Europe, pas seulement en Espagne, de hausse des discours racistes et xénophobes, ainsi que de la criminalisation des personnes migrantes et réfugiées. Cela s’explique en bonne partie à l’apparition de partis politiques anti-immigration. Cela provoque des comportements de haine et des délits contre ces personnes."  Depuis l'autre bord, à gauche, le gouvernement est aussi critiqué quand il se laisse déborder par la demande. C’est le cas en ce moment à l’aéroport de Madrid Barajas. Des dizaines de migrants sont entassés dans des salles, dans des conditions d’hygiène déplorables, dans l’attente qu’une décision soit prise sur leur sort. 

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