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En Colombie, au Pakistan et en Irak, que sont devenus trois anciens prix Nobel de la paix ?

Dans "Le club des correspondants", franceinfo passe les frontières pour voir tout ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, nous nous intéressons à trois anciens prix Nobel de la paix, colombien, pakistanais et irakien. 

Article rédigé par franceinfo - Najet Benrabaa, Sonia Ghezali, Lucile Wassermann
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La Pakistanaise Malala Yousafzai a reçu le prix Nobel de la paix en 2014. (GETTY IMAGES / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Alors que le prix Nobel de la paix 2020 vient d'être décerné au Programme alimentaire mondial des Nations-Unies, que deviennent les anciens nobélisés ? Leur voix est-elle toujours entendue ? Leur prix a-t-il servi d'accélérateur pour faire avancer leur cause ?

En Colombie, l'ancien président peine à faire entendre sa voix au sujet des FARC

En 2016, l'ancien président colombien Juan Manuel Santos reçoit le prix Nobel de la paix, alors que son pays annonce la signature des accords de paix historiques conclus avec les FARC, les anciennes forces armées révolutionnaires de Colombie. Une paix signée après plus de 50 ans de guerre. C'est pour ses efforts pour mettre fin au conflit qu'il a reçu le prix. À l'époque, ça faisait polémique. Beaucoup jugeaient ce prix prématuré, car les accords ont été signés deux mois après l'obtention de la médaille. D'autres encore critiquaient le contenu des accords, et le fait qu'ils ont été signés malgré un référendum contre.

Aujourd'hui, on peut dire que les efforts de Juan Manuel Santos ont plus ou moins payés. Certes, le conflit armé a cessé, mais les accords de paix ont du mal à être appliqués. Des centaines d'anciens FARC ont repris les armes, tout comme certains commandants historiques qui se sont exilés au Venezuela. Le parti politique des FARC, lui, est toujours instable alors que sur les territoires auparavant dominés par la guérilla, les combats et les victimes se comptent par centaines. Les bandes criminelles, les narcotrafiquants et groupes paramilitaires se disputent le terrain. La voix de Juan Manuel Santos semble donc étouffée, notamment par le parti du nouveau président Ivan Duque, élu en 2018. Son parti de la droite radicale, ainsi que son mentor, l'ex-président Alvaro Uribe, étaient contre les accords de paix. Ils tentent toujours de faire annuler ces accords.

La Pakistanaise Malala déçoit dans son pays 

Elle aussi a reçu le prix Nobel de la paix deux ans plus tôt, en 2014. La Pakistanaise Malala Yousafzaï a 17 ans lorsqu'elle reçoit le prix, décerné pour son combat pour l'éducation des enfants et le droit des femmes. La plus jeune lauréate (et la première Pakistanaise à recevoir ce prix) avait été élue au côté de l'Indien Kailash Satyarthi. Malala, c'est une icône du combat pour l’éducation des filles et une icône de la paix au parcours hors norme qu'elle raconte dans un livre. En 2012, alors qu'elle rentrait de l'école en bus, deux talibans armés et masqués lui ont tiré deux balles dans la tête et dans l'épaule. La raison : elle milite déjà en faveur de l’éducation des filles et participe notamment à un blog de la radio BBC. Elle est alors transférée au Royaume-Uni pour subir plusieurs opérations.

Aujourd'hui au Pakistan, où elle est très critiquée par les fondamentalistes religieux, Malala a encore plus de détracteurs qu'avant. Ceux qui la soutenaient jadis la critiquent parce qu'elle a, selon eux, poli son discours. Elle n’a pas beaucoup soutenu par exemple les membres du PTM, un mouvement Pashtun qui revendique les droits des Pachtounes qui vivent au Balouchistan et à Khyber Pakhtunkhwa, d’où elle est originaire. Parmi les libéraux, une partie aussi a été déçue parce que, selon eux, Malala est devenue trop proche des autorités pakistanaise, et notamment de l’armée qui détient le vrai pouvoir au Pakistan. Lorsqu’elle est revenue au Pakistan en 2018,  la première fois depuis qu’elle avait quitté le pays en 2012 pour être soignée, elle est escortée par l’armée. Malala vient par ailleurs d’une classe sociale modeste, et donc au Pakistan, où le système de caste est toujours important, elle est mal perçue et très peu soutenue.

En Irak, le prix décerné à Nadia Murad a été un accélérateur pour son combat

En Irak, Nadia Murad aussi a reçu le prix Nobel de la paix. C'était en 2018 avec le Congolais Denis Mukwege. Cette jeune yézidie, originaire du nord de l'Irak, a été une ancienne esclave de Daech et doit sa distinction à son combat contre l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre. Elle continue aujourd'hui de se battre pour que les violences commises à l'encontre de la communauté yézidie soient reconnues comme des crimes de "génocide", et qu'il y ait un jugement des coupables devant une cour internationale. La collecte de preuves avance en Irak, mais on est encore loin des procès attendus pour rendre justice aux milliers de personnes qui ont été tuées ou enlevées en 2014. Il y a toujours aujourd'hui 2 800 femmes et enfants yézidis portés disparus, très probablement entre les mains de Daech.

Nadia Murad continue donc, régulièrement, d'appeler la communauté internationale à agir. Pour son combat, le prix Nobel a été un accélérateur, même si elle répondrait certainement que ça n'est "pas assez". Mais ce prix lui a ouvert les portes de toutes les instances internationales dans lesquelles elle peut non plus seulement raconter son histoire, témoigner, mais aussi réclamer ou proposer des choses, et obtenir des réponses. Par exemple : juste après l'obtention de ce prix, elle a été reçue à l'Élysée, et Emmanuel Macron s'est engagé à ce moment-là à accueillir 100 familles yézidies. Cette distinction a également permis de lever beaucoup de fonds (dont 2 millions mobilisés par la France) pour une fondation qu'elle a créée en 2018, et qui accompagne des projets de réinsertion ou de construction dans le nord de l'Irak. Ce prix Nobel lui a donné une plus grande visibilité et un poids politique devant toutes ces instances.

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