Europe : à la veille des élections, la colère des agriculteurs a-t-elle été digérée ?
La crise agricole a touché l'Europe à partir de janvier et février 2024, les Pays-Bas, puis l'Allemagne se sont enflammés, avant de faire tache d'huile, en France notamment. Les gouvernants ont multiplié les promesses après des négociations souvent tendues, en gardant un œil sur l'échéance électorale qui se rapproche.
Mais en Pologne, où la contestation a peut-être été la plus vive, il reste encore quelques manifestations et les agriculteurs n’ont pas fini de faire entendre leurs revendications.
À Bruxelles, de nombreuses concessions ont été faites
Avec l’extension de leur colère à un nombre croissant de pays en début d'année, les agriculteurs européens se sont véritablement invités sur la scène politique. Les partis européens se sont trouvés forcés de réagir, mais avec deux visions différentes. Une plutôt à gauche craignait que les concessions aux agriculteurs viennent saper le Pacte vert européen, et du côté droit de l’échiquier, les partis conservateurs ont généralement pris fait et cause pour les agriculteurs – de façon assez stratégique envers un électorat plutôt traditionnel.
Au Parlement européen, dès 2023, plusieurs passes d’armes ont eu lieu, avec pour résultat un affaiblissement de certaines dispositions vertes en cours d’adoption, comme pour la limitation des pesticides. Pour la PAC, la politique agricole commune, des mesures environnementales ont été modifiées comme des concessions aux agriculteurs. Cette loi, qui prévoit la restauration de 20% des zones terrestres, est encore dans les limbes. L’obligation de jachère, qui devait être imposée pour 4% des terres agricoles, est suspendue pour 2024 et est en voie de disparition - sauf sur une base volontaire. Une autre des concessions principales proposées par la commission depuis mars 2024, est aussi la levée des contrôles et des pénalités liées aux règles environnementales pour les exploitations de moins de dix hectares, qui concernent 65% des bénéficiaires de la PAC.
Il y a eu aussi des concessions sur les relations commerciales, avec en particulier un "détricotage" partiel du soutien à l’Ukraine. En avril, les Européens se sont mis d’accord pour remettre automatiquement des droits de douane sur les denrées agricoles ukrainiennes considérées comme sensibles : œufs et volaille, sucre et miel, avoine et maïs. Et si leur importation perturbe le marché dans au moins un pays de l’Union européenne, toutes les autres denrées alimentaires seront soumises elles aussi à des plafonds.
En Pologne, un feu loin d'être éteint
En Pologne, le mouvement des agriculteurs est encore très vivace. Lundi 27 mai 2024, c’était les producteurs de fraises qui se sont manifestés pour s’opposer à l'importation de fruits de l’étranger. Et la semaine dernière a connu la fin de la grève de la faim d’un groupe d'agriculteurs qui protestaient au Parlement. Le premier point de crispation en Pologne est la suppression des droits de douane sur la production agricole ukrainienne, pour aider Kiev dans son effort de guerre. Une décision qui est mal passée ici, parce que certains produits ont inondé le marché polonais, et les agriculteurs locaux n’ont pas pu y faire face.
Il s’est ensuivi des mois de blocage à la frontière entre les deux pays. Puis le Pacte vert a rajouté de l’huile sur le feu. Mais avec la période des récoltes qui arrivait, les blocages ont été levés le mois dernier. Le gouvernement a déjà accordé des subventions, sur les céréales notamment. Il a aussi promis de soutenir les agriculteurs sur la scène européenne, pour s’opposer au Green Deal, ou en tout cas le faire modifier.
Un vote en conséquence aux élections européennes
C’est pour appuyer cette promesse que les agriculteurs polonais prévoient de se rendre à Bruxelles le 4 juin 2024 pour manifester. Ela Mazowska, cultivatrice de blé et éleveuse de vaches, témoigne après près de 6 mois de manifestation : "Je dirais que je suis à la fois déçue mais motivée. Nous devons faire quelque chose pour que ça s'améliore. Mais le comportement de nos autorités, du gouvernement, n'était pas approprié. À notre manifestation pacifique à Varsovie, on n’a pas été écouté et tout est devenu incontrôlable à cause de la police, personne ne sait pourquoi."
Pour ces agriculteurs, cette colère devrait d’ailleurs s’exprimer dans les urnes. Pris entre la guerre en Ukraine et les nouvelles règles du pacte vert européen, les agriculteurs en veulent de plus en plus à Bruxelles. Ils devraient donc se tourner vers les partis qui leur promettent de se détacher un peu de l’Union européenne le 9 juin 2024.
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