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Que pense-t-on du projet de gazoduc Nord Stream 2 en Russie, en Allemagne et en Pologne

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, nous partons en Russie, en Allemagne et en Pologne pour voir quelles sont les positions des dirigeants sur le projet de gazoduc Nord Stream 2 alors que la France est favorable à son abandon.

Article rédigé par franceinfo - Claude Bruillot Nathalie Versieux Sarah Bakaloglou
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le projet de gazoduc Nord Stream 2 a pour but de relier la Russie à l'Allemagne via la mer baltique (5 Novembre 2020);.  (JENS BUTTNER / DPA-ZENTRALBILD)

Clément Beaune le secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, a expliqué lundi 1er février que la France était favorable à l'abandon du projet de gazoduc Nord Stream 2, alors que les manifestations pro-Navalny sont largement réprimées en Russie. Ce gazoduc, majoritairement détenu par le géant russe Gazprom doit relier la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique. Direction la Russie, l'Allemagne et la Pologne pour voir comment est perçue la déclaration française.

Un enjeu majeur pour la Russie

En Russie, la position officielle reste de tout faire pour mener à son terme la pose du gazoduc. Malgré les derniers retraits en date (assureurs suisses et certificateurs norvégiens ) le Kremlin et Gazprom se disent prêts à ignorer les pressions américaines et européennes. Les Russes ont tout de même été forcés d’envisager l’hypothèse très négative selon laquelle, le projet NordStream 2 n’irait pas jusqu’au bout. 

Les comptes sont vite faits au Kremlin. La Russie, dont plus de 80 % des exportations de gaz sont tournées vers l’Europe, perdrait d’abord dans un premier temps des rentrées d’argent conséquentes. Quand on sait que, pour l’instant, le simple coût de NordStream 2 est évalué à près de 10 milliards d’euros. Gazprom devra aussi en plus rembourser pour une part ses associés occidentaux, au premier rang desquels on trouve Engie. A ce propos, il y a deux semaines, Alexei Miller, le tout-puissant patron de Gazprom, originaire, comme Vladimir Poutine, de Saint-Petersbourg, a été reçu au Kremlin après avoir laissé entendre dans un communiqué officiel, que dans l’hypothèse où NordStream 2 ne se ferait pas, Gazprom prendrait tout simplement son temps pour rembourser ses partenaires européens.

Le manque à gagner si NordStream 2 n’est pas réalisé, risque aussi d’atténuer le fameux "soft power" du Kremlin qui repose pour une part importante sur ses exportations d’hydrocarbures. Les exportations de gaz en général, et NordStream 2 en particulier sont un levier important pour la Russie dans sa stratégie d’influence à l’étranger. Si le projet disparait, les américains seront ravis car ils sont déjà prêts à vendre leur gaz de schiste en Europe. Ce serait surtout un camouflet pour le Kremlin vis-à-vis des polonais et surtout des ukrainiens. Non pas tant pour les milliards d’euros que Varsovie et Kiev continueront d’empocher en droit de passage sur leur territoire concernant le "vieux" gazoduc Yamal qui alimente encore pour partie l’Europe aujourd’hui, mais surtout parce que le Kremlin perdrait évidemment un moyen de pression sur ses deux voisins.

L'Allemagne continue de défendre le projet 

Dans le pays pourtant, les doutes augmentent. L'intervention lundi 1er février de Clément Beaune y est aussi pour quelque chose. Jusqu'ici rappelle le quotidien Tagesspiegel, Berlin n'a pris au sérieux aucune des critiques étrangères contre le projet. Ni celles des polonais et des baltes, considérées commes une preuve des positions primaires anti-russes de l'Europe de l'est. Ni celles des USA assimilées à un dérapage de plus de l'administration Trump. Ni celles du Parlement européen qui avait voté à 581 voix contre le projet. La prise de position de Paris qui lie directement ce projet de gazoduc au destin de Navalny fragilise la position allemande. Berlin voit en Nord Stream un projet purement économique.

Le projet se heurte à de nombreux obstacles sur tous les fronts. Il n'est pas certain qu'il voit le jour. On est à quelques mois des élections. Les Verts pourraient devenir le prochain partenaire de la CDU au sein du gouvernement. Ils sont résolument opposés au pipeline de Poutine comme ils appellent le gazoduc. Surtout, l'administration Biden est tout aussi opposée au projet que l'était l'administration Trump. Une raison suffisante pour bien des entreprises impliquées dans le projet de ne pas vouloir reprendre les travaux gelés depuis des mois.

Un projet très critiqué en Pologne

En Pologne, le ministre des Affaires étrangères polonais a souligné l’importance de la position française, et a reconnu que l’affaire Navalny avait créé des remous en Europe sur le sujet du gazoduc. Mais Zbigniew Rau juge que malheureusement la position allemande aujourd’hui n’a pas changé, et que l’Allemagne continue de soutenir ce projet. La Pologne est une farouche adversaire du gazoduc Nord Stream 2. On se rappelle les mots du Premier ministre polonais dans un quotidien allemand : “il rend le navire européen dépendant à l’approvisionnement gazier russe, et ce, en prévoyant des apports financiers aux oligarques russes”. Bref, cela ne fera que renforcer la position déjà dominante de Moscou sur le marché du gaz en Europe. 

La Pologne est déjà dépendante du gaz russe pour plus de la moitié de sa consommation. Varsovie tente de combattre cette dépendance d’autant que Nord Stream 2 ne doit pas transiter par la Pologne, et le prix du gaz pourrait donc augmenter pour les consommateurs polonais. Le pays travaille donc depuis plusieurs années à diversifier ses approvisionnements, en misant notamment sur la Norvège et les États-Unis. Un terminal pour recevoir du gaz naturel liquéfié a été construit, un gazoduc est lui en construction pour relier la Norvège à la Pologne. Il devrait être opérationnel en 2022. Une diversification qui a permis à Varsovie d’annoncer mettre fin à son contrat gazier avec Gazprom, la société russe, après 2022.

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