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Syrie : comment se déroulent les rapatriements d’enfants de jihadistes en Belgique, en Russie et en Tunisie ?

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qu'il se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, la question des rapatriements d’enfants de jihadistes en Belgique, en Russie et en Tunisie. 

Article rédigé par franceinfo - Pierre Benazet, Claude Bruillot et Maurine Mercier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une femme et un enfant marchent entre des tentes dans le camp d'al-Hol, géré par les Kurdes, où se trouvent des proches présumés de combattants du groupe État islamique (EI), dans le gouvernorat de Hasakeh, au nord-est de la Syrie, le 3 mars 2021. (DELIL SOULEIMAN / AFP)

Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, vendredi 18 juin, une centaine de personalités, dont de nombreux artistes, demandent à la France de rapatrier les quelques 200 enfants détenus dans des camps au nord-est de la Syrie. Direction la Belgique, le Russie et la Tunisie pour voir comme se déroule le rapatriement des enfants de jihadistes.

En Belgique, des rapatriements stricts

Il s'agit de l'un des pays européens qui a vu partir le plus grand nombre de candidats au Jihad en Syrie et en Irak, soit plus de quatre cents. La Belgique a envoyé il y a moins d’un mois une mission en Irak pour organiser le rapatriement de certains enfants. Le Premier ministre Alexander De Croo l’a révélé il y a deux semaines au Parlement : une mission belge a été envoyée fin mai dans le Kurdistan irakien parce que la situation s’y détériore.

Une mission préparatoire d’une semaine pour organiser le rapatriement d’enfants de jihadistes vivant dans deux camps dont celui de Al-Hol où il pourrait rester 30 enfants belges mais où la visite n’a pas été possible car la sécurité ne pouvait y être assurée. La mission s’est donc rendue uniquement dans le camp de Roj où sont concernées "six à huit femmes" et "dix à douze enfants" selon le Premier ministre belge. On n’en est donc qu’au début et pour un chiffre très restreint ; la mission a permis de collecter des informations et en particulier de procéder à des prélèvements sanguins pour prouver la filiation des enfants.
 
La Belgique a décidé, depuis plusieurs années, d'avoir comme principe de rapatrier les enfants de moins de douze ans. Mais, elle le fait sous conditions avec en particulier la preuve de leur nationalité. Ces conditions strictes n’ont débouché pour l’instant que sur très peu de rapatriements. Par exemple, il y a eu le rapatriement de six enfants en juin 2019, alors que le principe de faciliter les retours avait été acté dès 2017. Il y a eu aussi deux décisions de justice pour ordonner certains rapatriements mais le gouvernement a interjeté appel. Les mères ne seront rapatriées qu’au cas par cas, et si elles ont pris leurs distances avec l’idéologie islamiste. Quatre sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international, neuf ont été condamnées par contumace en Belgique et seraient de toute façon incarcérées dès leur retour. 

En Russie, les nombreux rapatriements inquiètent les services de sécurité

En Russie, ce sont près de 200 enfants de jihadistes qui ont déjà été rapatriés. Une volonté de Vladimir Poutine qui veut démontrer que l’intervention russe en Syrie possède un volet humanitaire. Mais ces rapatriements posent également des problèmes de sécurité.

Le dernier rapatriement d’enfants russes nés de parents jihadistes, il y a deux mois, a concerné une quarantaine d’orphelins, âgés de 3 à 14 ans. Ils ont été remis par les autorités kurdes à une délégation russe, dirigée sur place par l’envoyée spéciale de Vladimir Poutine pour les droits des enfants. Ce transfert, comme les précédents, a été favorisé évidemment par la présence des forces russes en Syrie. Une présence qui profite également à des pays proches du Kremlin, comme l’Ouzbékistan, à l’origine quelques semaines plus tard, du rapatriement également d’une centaine de femmes et d’enfants.

Ces retours d’enfants de jihadistes, même très encadrés, ne sont pas sans poser problème aux autorités russes. À l’origine les premières opérations de rapatriement avaient été très médiatisées, notamment parce qu’elles étaient coordonnées par Ramzan Kadyrov, l’homme fort de la Tchétchénie, d’où sont partis des centaines de jihadistes russes vers la Syrie. Ramzan Kadyrov, en quelque sorte mandaté par Vladimir Poutine, devait démontrer que la Russie ne faisait pas que s’impliquer militairement dans le soutien à Bachar Al Assad en Syrie, mais que le Kremlin se souciait aussi des questions humanitaires. Mais face aux risques de propagation du terrorisme sur le sol russe, les services de sécurité nationale ont fini assez tôt par tirer la sonnette d’alarme, quand potentiellement il a été question du retour en Russie de près de 2 000 femmes et enfants de jihadistes. Depuis plus d’un an maintenant, ces rapatriements se font en petites quantités, et avec davantage de discrétion.

En Tunisie, les rapatriements sont un sujet sensible

Il s’agit de l’un des pays qui a fourni le plus gros contingent de combattants étrangers en Syrie, Irak et Libye. Ils seraient 5 500 Tunisiens à être partis rejoindre le groupe État islamique et ses équivalents, selon une estimation onusienne. Sur place, toujours détenus dans des camps et les prisons, l'ONG Human rights Watch a comptabilisé 200 enfants tunisiens. Le sujet est extrêmement sensible dans le pays. D'un côté, vous avez les présidents qui se succèdent et qui tiennent le même discours face à leur population, à savoir qu'on ne peut pas empêcher des Tunisiens de revenir au pays. Mais il existe une vraie réticence dans le pays, d'autant qu'il est régulièrement la cible d’attentats. Des groupes de citoyens se sont constitués pour réclamer la déchéance de nationalité pour ces jihadistes et leurs familles, voire la peine capitale.

Des enfants parviennent malgré tout à rentrer mais au compte-goutte. Des grands parents s'épuisent à créer des associations, à mobiliser ou à décrocher des entretiens avec le ministère des Affaires étrangères ; tout cela généralement sans grand résultat. Plusieurs enfants qui étaient détenus en Libye ont pu être rapatriés en 2020, et il s'agit uniquement d'orphelins.

Les autorités tunisiennes n'ont pas les mêmes intérêts que la Libye, l'Irak ou la Syrie. Ces pays veulent que la Tunisie rapatrie les enfants et leur mère. Mais la Tunisie ne veut pas de ces dernières estimant qu'elles représentent un danger pour le pays. Résultat, tout se fige et le temps passe. Ces enfants grandissent, sans accès ni à la santé ni à l'éducation. En Libye, ces enfants traumatisés sont dans un état psychologique extrêmement préoccupant. "On construit des bombes à retardement", résumait un grand-père qui n'arrive pas à faire revenir son petit-fils.

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