Le décryptage éco. États-Unis : Mais où sont passés tous les travailleurs ?
Aux États-Unis, on se demande ce que cache le taux du chômage officiel très faible affiché par les Américains.
On a tous vu que la question sociale pesait dans la campagne électorale américaine, il y a une colère populaire qui s’est manifestée dans le pays et qu’on ne comprend pas bien si on ne regarde que le taux de chômage global : les Etats-Unis ont subi, on le sait, en 2007-2008, c’est à dire quasiment au moment où Obama arrive à la Maison Blanche, la plus grave crise économique et financière depuis 1929. Huit ans après, on a l’impression en regardant les grands chiffres que l’Amérique a fait preuve une fois encore d’une capacité de rebond exceptionnelle, et que c’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de l’économie américaine. Et bien ce tableau est en fait beaucoup plus complexe. Il masque deux réalités :
1. Les salaires en gros de la classe moyenne américaine ont quasiment stagné ou très peu augmenté en trois décennies, et c’est très long trois décennies.
2. C’est le point le plus intrigant, des Américains se sont retirés, comme auto-exclus du marché du travail. Il y a, en pourcentage, moins d’Américains sur le marché du travail qu’il n’y en avait avant la crise. Et il y a même un taux d’emploi – c’est à dire le nombre de gens qui travaille ou cherche du travail par rapport à la population totale, très faible par rapport à ce qu’ont connu les Etats-Unis, ou par rapport à nos sociétés européennes. Alors que plus de 67% de la population américaine de plus de 16 ans travaillaient ou cherchaient du travail en 2000, ils sont aujourd’hui 62%, c’est à dire 5 points de moins c’est énorme, et c’est le plus bas niveau depuis presque quarante ans.
Où sont passés ces Américains qui ont disparu des statistiques ?
C’est la question passionnante que c’est posée le chercheur Paul Seebright, de l’Institut d’études avancées de Toulouse, il a regardé une étude assez incroyable qui a été présentée à la banque centrale américaine, la Federal Réserve, et qui s’intitule justement : " Mais où sont passés tous les travailleurs ? ". La réponse, c’est qu’il y a bien un phénomène d’auto-exclusion, de désengagement d’une partie, d’une frange de la population américaine qui considère que le marché du travail est trop dur ou inadapté à leur situation, à leur réalité sociale. Et en regardant de très près, on s’aperçoit qu’il s’agit surtout d’une population de jeunes hommes : la participation au marché du travail des jeunes hommes âgés de 21 à 30 ans a ainsi baissé de sept points et demi en quinze ans, une baisse que ne peut expliquer totalement l’accroissement de la scolarité dans l’enseignement supérieur. Et si on regarde encore de plus près, on s’aperçoit sans surprise que ce sont les jeunes des milieux les plus défavorisés qui se retirent ou ne vont même pas sur le marché du travail. Et il semble que beaucoup aient aussi des problèmes de santé. Enfin, il y a d’autres éléments d’explication liés aux évolutions de la société américaine, comme l’augmentation du taux d’incarcération depuis les années 90.
Le vrai taux de chômage américain s’élèverait à combien ?
Probablement pas loin du double de ce qu’il est actuellement, le vrai taux de chômage américain est sans doute proche des 10% que nous connaissons bien en France. Cela signifie des dizaines de milliers d’Américains, peut-être même plusieurs centaines de milliers de personnes, surtout des jeunes défavorisés vivotent, alternant petits boulots au noir et inactivités. Cette réalité sociale donne une idée plus précise de ce qu’est l’extrême polarisation de la société américaine. Cette réalité là va peser inéluctablement dans le débat politique, dans la situation politique des Etats-Unis dans les cinq à dix ans qui viennent. Là bas aussi, la peur du déclassement agite les esprits.
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