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Le rocardisme est un modernisme

Quel était le legs, l’héritage économique de Michel Rocard : qu’est-ce que le "rocardisme" ?
Article rédigé par Vincent Giret
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
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Il faut d’abord remarquer qu’il est très rare qu’un homme politique à notre époque soit porteur d’une pensée propre, à lui, une pensée structurée, qui s’est construite au fil du temps, sur plus d’un demi-siècle, dans une authentique cohérence. Le rocardisme n’est ni un effet de mode, ni un contorsionnisme politique, ni un trait de caractère. C’est une vision, une tentative intellectuelle de penser le monde, ses problèmes et ses modes de résolutions.

Autant François Mitterrand a tenu l’économie à une certaine distance, celle souvent du mépris, autant Michel Rocard, à l’opposé, a entretenu avec l’économie un rapport extrêmement puissant. L’économie, c’est le réel, c’est le moteur du développement, c’est le champ aussi des contradictions. Le rocardisme lui accordait donc une attention première. Mais avec une exigence : "Il n’y a pas d’économie sans social, mais il n’y a pas non plus de social, sans économie". On peut le dire autrement, si on ne pense qu’à la production, alors il n’y a plus de société qui unisse les hommes, mais si l’on pense qu’à la société, alors il n’y a plus d’économie, et donc plus d’espoir ni de prospérité, ni d’égalité. C’est le socle exigeant du rocardisme.

Michel Rocard était aussi porteur d’une certaine vision de l’Etat 

Comme Jacques Delors, il avait tenté de s’opposer, en vain, à la folie des nationalisations à 100% décidées par François Mitterrand, en 1981. Cette lucidité est le fruit, là encore, d’une vision, d’une conception précise : Michel Rocard s’est toujours inquiété que l’Etat n’écrase pas la société, les forces vives de la société civile. Le rocardisme a défendu l’idée de la décentralisation, mais plus encore le respect, la force, la puissance, de l’acteur social.

C’est tout sauf un hasard si Michel Rocard a demandé dans son testament qu’un autre monstre sacré, Edmond Maire, qui a tant marqué l’histoire du syndicalisme, s’exprime lors de l’hommage national qui aura lieu ce jeudi. C’est ça l’esprit de la deuxième gauche : Michel Rocard le dit, au risque de déplaire à ses camarades, dès le lendemain de la victoire de 1981 : le pouvoir d’Etat ne peut suffire à la transformation sociale, c’est de réveiller la société civile qu’il s’agit, de dialoguer avec elle, de la faire prendre en main son destin à travers la négociation et un art consommé de la négociation. Il n’y a pas à chercher très loin dans l’actualité pour voir la modernité intacte de la pensée de Michel Rocard. C’est en ce sens aussi qu’il assumait encore revendiquait même, le mot et l’utopie du socialisme.

Rocard était aussi très ouvert sur le monde

Là encore, c’est une autre singularité, Michel Rocard n’a cessé de penser la France, l’évolution de son économie, les transformations du travail dans le monde d’aujourd’hui. Il a continué à voyager avec une curiosité intacte, comme aucun autre politique français. Son obsession était de comprendre notamment ce que l’émergence d’une puissance considérable telle que la Chine allait transformer dans les rapports sociaux, économiques et politiques.

Dans cet esprit, il faut ajouter que Rocard avait, en pionnier, ajouté à sa vision de la politique, une dimension écologique, robuste, savante et militante. Le paradoxe et la grande frustration du rocardisme auront été de n’être jamais parvenus à conquérir le pouvoir suprême par le biais du suffrage universel et de ne laisser aucun véritable héritier de premier plan, même si Michel Rocard, il y a quelques jours, et comme pour lui passer le flambeau, a voulu voir Emmanuel Macron, dans sa chambre d’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

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