Mais où est passée la productivité ?
Pour vous donner une petite idée de la nature du débat que ce chiffre, la baisse de la productivité horaire du travail a suscité depuis 48 heures,"C’est inexplicable " a par exemple titré le Financial Times, qui avouait sa perplexité comme de très nombreux économistes. En fait c’est un sujet qui est au cœur depuis au moins cinq ou six ans, du débat passionnant entre économistes, notamment aux Etats-Unis. Alors pourquoi c’est important, d’abord. La productivité, c’est le moteur de la croissance. Depuis le début de l’humanité jusqu’en 1820, le PIB par habitant est une grande ligne droite, il n’y a pas ou quasiment de croissance. Et puis à partir du début du XIXème siècle, la croissance apparaît, l’homme apprend à maîtriser l’énergie, et ça provoque une révolution industrielle, l’homme sait produire et multiplier la production de nouveaux biens, à grande échelle, la productivité bondit, et on rentre dans l’ère de la croissance.
Aujourd’hui, 2 siècles plus tard, aux Etats-Unis, dans le pays qui est au cœur du capitalisme et de l’innovation, la productivité est faiblarde, pire, elle recule selon le Conférence Board, un grand organisme d’études économiques proche du patronat. C’est comme-ci le moteur de la croissance était en train de s’éteindre.
Quelles sont les hypothèses, qui permettent d’expliquer cette chute ?
Il y a deux écoles, au sein des économistes, les optimistes et les pessimistes. Regardons d’abord les optimistes : hypothèse 1 : on ne sait plus mesurer la productivité. En gros quand vous produisez des biens, physiques, matériels, des voitures, ou du béton, ça vous savez le mesurer, c’est facile. Mais avec le numérique et l’immatériel, là, c’est beaucoup plus difficile à évaluer. Donc pas de panique : la productivité existerait bien, elle pourrait même s’accélérer encore mais la statistique ne serait plus capable de la mesurer. Hypothèse 2 : cette chute de la productivité s’expliquerait essentiellement pour des raisons conjoncturelles aux Etats-Unis, certes le chômage est très faible mais les emplois créés ces dernières années ne sont pas le cœur du marché du travail, ce sont des emplois peu qualifiés, de service, et donc mécaniquement ils feraient baisser la productivité horaire. Dans les deux cas, on peut respirer la croissance n’est pas cassée.
Il y a une troisième hypothèse beaucoup plus pessimiste…
C’est celle qui monte ! Elle est portée par le grand économiste américain Robert Gordon, qui annonçait cette perspective depuis déjà plusieurs années, avec une conviction déroutante, nous serions victimes d’un effet d’optique : même si nos avons l’impression que le monde change à toute allure avec le numérique, la robotique, et les nanotechnologies, et bien en fait, ces innovations là, celles que nous vivons, ne seraient pas porteurs de gains de productivité et donc de croissance, à la hauteur de ce que nous ont apporté les révolutions industrielles du XIXème siècle. Et si c’est la cas, alors c’est le moteur de la croissance qui ne tournerait plus qu’à toutes petite vitesse, et cela bien sûr aura des conséquences, économiques, mais aussi sociales et politiques considérables. C’est dire si ce débat est important et passionnant.
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