"Il a sorti un fusil et a tiré deux fois"
C'est un tweet court, sec, qui a claqué comme une détonation. Ce lundi matin, il est 10h27 lorsque Jérôme Balazard, journaliste à "Libération", envoie ce simple message : "Coups de feu à Libération"'.
Puis une dizaine de minutes plus tard, c'est au tour des Garriberts, les journalistes médias du quotidien de donner quelques détails, toujours sur Twitter : " Un type est entré dans le hall de Libération avec un fusil, aurait tiré deux ou trois coups, quelqu'un aurait été touché "
Deux tweets qui vont annoncer le début d'une journée étrange et inquiétante sur les réseaux sociaux.
Une journée pendant laquelle on a pu suivre la course folle dans Paris de celui qui sera rapidement désigné par les internautes sous le #tueurfou. Une chasse à l'homme en direct et en 140 caractères que l'on pensait réservée aux Etats-Unis. En avril dernier, la poursuite des deux hommes suspectés d'avoir commis les attentats de Boston avait elle aussi été suivie "en direct" sur les réseaux sociaux.
Les internautes ayant disséqué les images des caméras de surveillance pour essayer d'en retrouver la trace.
Cette fois, la course folle était dans Paris, et sur Twitter. A peine la nouvelle de la fusillade connue, les photos des patrouilles de police se mettant en place devant les rédactions parisiennes circulent déjà, envoyées par Eric Mettout, Benjamin Ferran et bien d'autres. Devant L'Express, Le Figaro ou Le Monde, les forces de l'ordre viennent surveiller les entrées. Et cette photo étonnante, prise ce matin ici même par Antoine Krempf, devant Radio France, d'un agent de sécurité ayant revêtu un gilet pare-balles.
Pendant ce temps, les réactions de soutien à Libération se multiplient, tout comme les déclarations des politiques.
Et bien sûr, dans le lot, les idioties de certains, comme ce tweet d'un militant UMP de Chaville laissant entendre que Libé serait responsable du drame à cause de ce qu'il appelle des "manipulations médiatiques". Indécence d'une parole idiote, alors qu'un photographe est gravement blessé, sans doute entre la vie et la mort.
Ou ce tweet d'un obscur politicien ayant tenté sans succès de se présenter plusieurs fois à l'élection présidentielle et qui se croit obligé de lâcher : " pays de sauvage ? voila qu'on attaque LIbé comme une bijouterie nicoise. Il n'y a rien à voler, pourtant, pas une idée " Les noms des auteurs de ces imbécilités crasse ?
Non, on ne les donnera pas. Comme l'a expliqué Johan Hufnagel de Slate.fr " La "magie des réseaux" va offrir à ce tweet et à l'auteur de ce compte ses 15 minutes de gloire et, par le biais des RT des twittos les plus influents, propulser cette grosse connerie au firmament de l'info du jour, balayant presque l'actu que ce tweet entendait "analyser".
A, 11h52, un nouveau tweet, de Julien Cawone cette fois, relance la machine : "Un taré vient de tirer deux coups de feu en bas des tours Société Générale. Monde de fou ! J'ai pas de prime de risque moi ".
Pierre-Alber Garcias explique lui aussi : "1ère fusillade en live en bas de la Tour Granite Société Générale. Voir un mec en face de soi recharger son fusil. Flippant. pas de blessé".
La course folle reprend de plus belle dans Paris et sur Twitter. Cet homme au fusil, on le suivra au fil des heures prenant un automobiliste en otage jusqu'aux Champs-Elysées. On verra les hélicoptères de la police survoler Paris à sa recherche. Les fausses alertes lancées par des twittos qui voulaient juste faire une blague...
Et, dans l'après-midi, les photos et les vidéos qui ont commencé à circuler. Une silhouette floue d'abord, puis de plus en plus nette. Marchant dans la rue, un sac à la main. Attendant tranquillement un tramway, ou braquant son fusil dans le hall de BFM TV il y a quelques jours.
Images glaçantes d'une silhouette d'autant plus effrayante qu'elle reste sans visage.
En début de soirée, la préfecture de police de Paris tweetera un appel à témoins pour trouver un "Homme, type européen, âge 35-45 ans, taille 1m70-1m80, cheveux couleur poivre et sel, porteur d'une barbe de 3 jours,"
Et sa victime, le photographe assistant touché dans le hall de Libé ce matin ? En fin de journée, Fabrice Rousselot le directeur de la rédaction du journal expliquait qu'après 6 heures d'opération "il est sorti du bloc opératoire, les médecins sont un peu plus optimistes". Mais son pronostic vital reste engagé, tant qu'il est en réanimation
Ce soir, c'est la une de Libération de demain matin qui circule beaucoup les réseaux sociaux. Une page blanche, sans photo, barré de ces quelques mots : "Il a sorti un fusil et a tiré deux fois ". Même pas les 140 caractères d'un tweet, mais qui pourtant disent tout de cette journée folle...
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