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"Écrire avec mon père, c'est tout de même assez étrange et inattendu", confie Yann Queffélec, qui publie "Suite armoricaine"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivain et marin, Yann Queffélec. Il vient de publier "Suite armoricaine" aux éditions du Cherche-Midi.
Article rédigé par franceinfo, Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L’écrivain et marin Yann Queffélec, à Saumur, en 2021. (JOSSELIN CLAIR / MAXPPP)

Yann Queffélec est écrivain et marin. Il est avant tout un amoureux de la mer et de sa Bretagne, allant même jusqu'à déclarer qu'il était un pirate… Mais sans jambe de bois ni langue de bois. Le point de départ de cette vie d'écrivain, née tardivement et à 32 ans, a été la navigation.

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Sa première publication était une biographie du compositeur et pianiste hongrois Béla Bartok en 1981. Puis il y a eu Charme noir (1983) et le prix Goncourt pour Les Noces barbares en 1985. En 2015, il a rendu hommage à son père dans L'homme de ma vie. Il vient de publier Suite armoricaine aux éditions du Cherche-Midi.

franceinfo : Suite armoricaine est une histoire, un récit de famille, la réunion, parfois la réunification d'un père et d'un fils. Celle avec votre père, évidemment. Alors, quelle est la recette armoricaine de la famille Queffélec ?

Yann Queffélec : C'est une recette bretonne. C'est la mer qui monte et qui descend, qui monte et qui descend également dans les relations. Là, je suis plutôt dans un phénomène de marée haute à l'égard de mon père. Je ne renonce en rien aux griefs qui ont pu m'animer contre lui à certains moments, mais aujourd'hui, je suis plutôt dans une phase d'humour à mon égard et au sien. Je me dis qu'il est temps de pardonner, de voir que le verre est beaucoup plus intéressant lorsqu'il est à moitié plein, donc je suis dans cette plénitude !

J'ai presque envie de dire : "Enfin, ce livre existe". Il était nécessaire d'attendre pour pouvoir l'écrire ?

Certainement. Moi, je n'avais pas droit aux explications, sinon je l'aurais écrit avant. Ce que ce livre a d'intéressant, c'est qu'il est à la fois le livre du père et du fils. C'est-à-dire qu'il y avait un manuscrit de mon père qui sommeillait dans un tiroir de la postérité et c'est un éditeur intelligent et bon lecteur, Jean Le Gall, qui, un jour, lisant ce texte qui appartenait à sa maison d'édition, s'est dit : "Mais pourquoi ne pas intéresser la Bretagne du fils, la Bretagne contemporaine à celle du père ?" et à nouveau, le père et le fils se sont retrouvés cette fois sous la même couverture, ce qui n'est pas ordinaire et ce qui, sur un plan psychanalytique, est assez passionnant.

Écrire comme ça avec mon père, à côté de lui, dans la sensibilité paternelle, c'était tout de même assez étrange et inattendu.

Yann Queffélec

à franceinfo

Vous avez beaucoup souffert de son manque d'amour, mais j'ai l'impression que c'était une façon de lui dire : "J'ai hérité de toi un certain nombre de choses et voilà ce que j'en fais aujourd'hui".

C'est vrai. Et en même temps, je m'aperçois que je souffre de plus en plus de ce qu'il ne m'a pas donné lorsque je cherchais à l'atteindre, à l'intéresser et à l'aimer. C'est encore une souffrance extrêmement présente, mais avec le temps, on s'aperçoit que la souffrance fait aussi partie de la vie. Et on apprend non pas à aimer les souffrances d'autrefois, mais à en faire quelque chose qui vous structure. Je suis, aujourd'hui, structuré par cette souffrance. Je sais où elle est, je sais à quoi elle me sert, en quoi elle me fait encore mal et elle me fera toujours mal parce que malgré soi, on reste enfant à travers toutes les saisons de la vie.

En même temps, il y a énormément d'amour dans cet ouvrage.

Je l'aimais charnellement. Strictement rien de sexuel évidemment là-dedans, mais j'étais complètement fou de mon père. Tout me semblait extraordinaire chez cet homme qui ne s'intéressait absolument pas à moi et qui m'a toujours culpabilisé chaque fois qu'il prenait la parole pour me parler. C'est étrange.

Il y a eu un élément dramatique dans votre parcours, c'est la disparition de votre mère. On est en 1970. Il y a un coup de téléphone à cinq heures du matin. Vous le raconter dans cet ouvrage. C'est rare que vous abordiez ce sujet-là.

C'est incroyable. C'est totalement romanesque et parfaitement douloureux. C'est vrai, il est cinq heures du matin, je reviens de pension. Ma mère n'est pas là. Mon père me dit qu'elle se repose chez des amis. Je ne suis au courant de rien concernant la maladie qui est en train de l'achever. Et à cinq heures du matin, j'ai au bout du fil, parce que mon père n'est pas allé décrocher le téléphone, la voix d'une petite infirmière en larmes. Elle me dit : "Monsieur Queffélec", je suis monsieur Queffélec, "Votre femme n'a pas passé la nuit". À ce moment-là, mon père m'arrache le téléphone des mains. Il m'en veut d'avoir intercepté, selon lui, ce coup de fil. Il ne me dira jamais : "Tu as perdu ta maman". Pour lui, ça y est, je l'ai appris par l'infirmière, on n'en parle plus.

Est-ce que vous vous aimez ?

Je pense que c'est un mélange. Qu'à la fois je ne peux pas me blairer et en même temps, je me dis que j'ai quelque chose. Mais il faut bien que tu es quelque chose pour être là où tu en es, pour avoir surmonté ce que tu as surmonté. C'est vrai, je vois bien que j'ai encore, à la fois, une vitalité enfantine, j'aime bien ça chez moi et comme je vous l'ai dit en même temps, j'ai beaucoup de choses à me reprocher, mais j'ai été élevé dans le reproche par mon père, dans la culpabilité.

Dans la culpabilité. À tel point d'ailleurs que ce prix Goncourt, vous ne l'avez jamais accepté parce qu'il ne l'avez jamais eu. Vous ne vouliez pas l'appeler.

Le plus beau jour de ma vie était le pire jour de ma vie. C'est l'instant où j'ai dû annoncer à mon père, par téléphone, dans la cabine téléphonique la plus pourrie de la capitale que j’avais reçu le prix Goncourt.

Yann Queffélec

à franceinfo

Non. Je savais qu'il allait considérer cela comme un camouflet, comme un coup de poignard. J'ai découvert que cet homme, qui était mon père et que j'aimais tendrement, à qui j'aurais voulu apporter ce prix Goncourt comme je l'aurais apporté à ma mère si elle avait été vivante… Eh bien que cet homme était plus un rival, un écrivain-rival à ce moment-là que mon papa.

Est-ce que Yann Queffélec est le fils d'Henri ou est-ce qu'Henri est le père de Yann ?

Je pense que c'est un formidable mélange des deux. Je ne rigole pas parce que, peut-être, je porte un petit peu mon père à ma manière, en le réhabilitant d'abord, en en parlant aujourd'hui, en rappelant à quel point on aurait intérêt à lire cet homme, à lire ses nouvelles qui valent les nouvelles de Tchekhov. Enfin, tout ça... C'est curieux une famille !

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