La comédienne Catherine Hiegel met en garde contre la montée du racisme : "Quelque chose de sale, de laid, s'est libéré"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la comédienne Catherine Hiegel, sociétaire honoraire de la Comédie-Française. Elle joue actuellement dans la pièce de l'Autrichien Thomas Bernhard "Avant la retraite", au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.
Actrice, Catherine Hiegel est sociétaire de la Comédie-Française depuis 1976, devenue doyenne le 27 mai 2008 et enfin sociétaire honoraire depuis le 1er janvier 2010. Le théâtre l'a toujours accompagnée, consacrée, moins le cinéma, même si son rôle de Josette dans le film d'Etienne Chatiliez, La vie est un long fleuve tranquille, a marqué les esprits. Elle a incarné les grands rôles féminins du répertoire classique et contemporain. Depuis le 12 janvier, elle est sur scène dans la pièce Avant la retraite de l'Autrichien Thomas Bernhard, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.
franceinfo : Avant la retraite est une pièce sur le nazisme que vous considérez d'utilité publique face à la montée du racisme. C'est une pièce qui en dit long sur le devoir de mémoire, mais aussi sur le fait qu'il ne faut pas oublier de rester vigilant.
Catherine Hiegel : Oui, je suis, personnellement, pour la vaccination obligatoire et pour le Thomas Bernhard obligatoire, en plusieurs doses ! C'est une histoire de famille, si j'ose dire. C'est un frère et ses deux sœurs. Il couche avec une de ses sœurs, celle que j'interprète. L'autre est paralysée depuis la fin de la guerre à la suite d'un bombardement, mais elle est notre ennemie, elle est de gauche. Nous, nous sommes profondément d'extrême droite, nazis et antisémites.
"C'est une fratrie qui vit dans la nostalgie de cette grande époque hitlérienne et du nazisme, et qui attend avec une grande impatience ce qui doit se passer actuellement dans des foyers européens et français : le retour, enfin, à la raison, c'est-à-dire l'extrême droite."
Catherine Hiegelà franceinfo
C'est une pièce qui fait quand même référence au fait que les vieux démons ne sont jamais très loin.
Je le ressens, en tous cas, dans ma vie, dans le quotidien. Je ressens que quelque chose de sale, de laid s'est libéré.
Le théâtre est rentré très vite dans votre vie. Ça a été comme une révélation, mais très jeune.
Ça a été une obligation. Ce n'est pas une révélation. C'est mon père qui voulait, pas moi. Je me laissais faire, mais j'avais sept ans quand j'ai commencé à travailler avec mon père. Et puis après, j'ai obéi. Ce n'était pas une révélation. La révélation m'est venue par la rencontre d'acteurs, de metteurs en scène. Quand je suis rentrée à la Comédie-Française, où j'ai eu la chance de rencontrer de grands metteurs en scène et de grands acteurs, là, la révélation de la beauté, de la grandeur de mon métier est venue, mais avant, je jouais déjà depuis cinq ans.
Est-ce que vous auriez préféré conserver votre parcours de petite fille, d'adolescente ?
Non, parce que mon âme d'enfant, j'ai su la préserver, même aujourd'hui. Non, je n'ai pas de regrets. Ce n'est pas dans ma nature en plus.
"La petite fille, je crois qu'elle est là, quelque part. Il y a un petit diable en moi, qui est là, qui n'est pas mort."
Catherine Hiegelà franceinfo
Le seul regret que je peux avoir, c'est la disparition de mon père, il me manque. J'aimais bien quand il était dans la salle et j'aimais bien qu'on s'engueule.
Que gardez-vous de lui, alors ?
Sa passion, son goût, sa curiosité de tout, son immense connaissance, en musique, en théâtre, en peinture. C'était extraordinaire. C'était un autodidacte complet. C'était génial, même quand j'allais encore à l'école, quand j'avais une question, j'allais voir papa. Que ce soit en histoire, en géographie, en littérature, il avait tout de suite la réponse sans regarder un livre. J'avais une admiration folle pour mon père. C'est bien pour ça que j'ai obéi. On n'obéit pas à un imbécile.
Et votre mère dans tout ça ?
Ma mère, ça l'a affolée. Ça ne lui plaisait pas du tout. D'ailleurs, c'est elle qui, sans le savoir, m'a déclenchée. Un soir, elle m'a dit en venant me border : "Dis-lui que tu n'es pas faite pour être comédienne. Moi, je te connais, tu es faite pour être mère de famille". Ça m'a vexée.
Vous avez intégré le Conservatoire national supérieur d'art dramatique promotion 69.
Oui. J'ai occupé le conservatoire en 1968. J'ai dormi dans le bureau du dirlo !
Et puis, vous êtes ensuite rentrée à la Comédie-Française. Ça représentait quoi avec un père qui avait déjà adapté en radio de belles œuvres de la Comédie-Française ?
J'y suis restée 40 ans. Je me disais, parce que les contrats comme pensionnaire, c'est une année, "si ça ne me va pas, je m'en vais." Voilà ce que ça représentait.
"J'avais très peur de cette maison parce qu'il y a une sorte de légende autour d'elle. Mais ce n'est pas du tout ce qu'on vous dit."
Catherine Hiegelà franceinfo
Je ne me suis jamais sentie prisonnière de la maison, sinon je serais partie. Mais ils ont préféré le décider à ma place.
Ils vous ont remerciée. Comment l'avez-vous vécu ?
Pas bien. Enfin, ce n'est pas agréable, mais c'est oublié. C'est oublié, mais jamais je n'y retournerai pour jouer. Voir des spectacles, oui, mais jouer, jamais. Je pourrais comme honoraire, j'ai le droit. Maintenant, c'est formidable, je suis entièrement libre. C'est moi qui décide et ça, c'est pas mal.
Ça représente quoi le théâtre pour vous ? On a l'impression que c'est votre vie, une confidente. C'est le lieu où vous vous sentez le mieux.
Ça représente un métier qui n'est jamais fini, jamais abouti. Jamais je ne pourrais dire : "ça y est, j'ai compris" ou "ça y est, je sais". Et cela s'arrêtera parce qu'un jour, mon corps ne voudra plus ou ma tête ne voudra plus. Et j'espère qu'à ce moment-là, tout s'arrêtera en même temps.
Comment vous définissez-vous ?
Je serais incapable de définir. Je m'insulte au quotidien très fréquemment. Je ne me supporte plus dans les miroirs. Je ne me reconnais pas, d'ailleurs. Je n'aime pas ma voix sur le répondeur. Je ne supporte pas de m'entendre. Je serais incapable de me définir.
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