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ENTRETIEN. Lale Gül, jeune écrivaine néerlandaise d'origine turque : "La liberté coûte cher, mais ça en vaut le coup"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivaine et étudiante en littérature néerlandais d’origine turque, Lale Gül. Elle vient de publier en France son livre : "Je vais vivre", aux éditions Fayard.
Article rédigé par franceinfo, Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lale Gül, écrivaine et étudiante en littérature néerlandaise d'origine turque, en 2021. (ANP MAG / AFP)

Lale Gül est écrivaine et étudiante en littérature néerlandaise d'origine turque. Sa famille turque émigrée aux Pays-Bas, lui a donné une éducation basée sur la vie communautaire, centrée sur la religion musulmane et la culture turque. Jusqu’à l'âge de 17 ans, elle a fréquenté le week-end une école coranique gérée par la fondation Millî Görüş, autrement dit, elle a été élevée en vase clos jusqu'à ce qu'elle découvre l'existence des bibliothèques et qu'elle se mette à dévorer les livres et à aimer aussi un garçon.

Tardivement, elle a donc découvert qu'il y avait d'autres mondes, d'autres cultures, d'autres façons de vivre, ce qui a entraîné une perte de foi et un changement profond qu'elle a longtemps caché à sa famille. Désormais, elle ne se cache plus et a décidé de témoigner en écrivant à son tour. Elle vient de publier en France son livre : Je vais vivre aux éditions Fayard.

franceinfo : L'écriture est-elle une arme pacifiste d'éducation massive ?

Lale Gül : Oui, bien sûr. J'ai dit toujours que le stylo est plus fort que l'épée. J'essaie d'utiliser mon écriture pour changer les idées des gens, leur donner du pouvoir et c'est incroyable parce que de manière quotidienne, je reçois du courrier de centaines de filles, de garçons, "J'ai lu votre livre et vous m'inspirez. Maintenant, je vais changer ma vie". Donc, c'est incroyable. Il va y avoir un film aussi, une comédie musicale. Je suis toujours hallucinée par le nombre de réactions que ça a produit.

Dans cet ouvrage, on apprend à vivre avec vous. On a l'impression d'être à vos côtés tout le long de cette histoire qui est bouleversante, inévitablement. On apprend à quel point effectivement, vous n'avez pas le droit de sortir seule, de faire du vélo parce qu'il fallait protéger votre hymen. Quelle enfance avez-vous eu finalement, si vous deviez la décrire ?

On était très pauvres, donc il n'y avait pas beaucoup d'argent. Je ne pouvais pas faire beaucoup d'activités. Donc, à dix ans, j'ai exploré la bibliothèque et j'adorais vraiment cet endroit parce que je pouvais tout lire librement et attraper toutes les informations que je n'apprenais pas à la maison. De plus, le week end, j'allais à l'école coranique et à chaque fois, je pleurais à la maison en disant : je ne veux pas y aller. Mais ils disaient :"Non, c'est très important, tu vis pour la religion", on vous apprend beaucoup sur ce qui est interdit. Ça c'est interdit, ça c'est interdit et je me demandais ce qu'il y avait de marrant à vivre si tout ce qui est marrant, c'est interdit. depuis très jeune, j'étais très intéressée par le monde et je posais beaucoup de questions.

"Je ne pouvais pas exister puisque tout autour de moi me disait : 'eh bien, la religion, c'est la seule chose importante dans la vie'."

Lale Gül

à franceinfo

Dans cet ouvrage, vous parlez non pas de vos "parents". Parfois, vous dites "mère" ou "géniteurs". Quel est votre rapport avec eux aujourd'hui après la publication de ce livre ?

Ça fait deux ans qu'on n'a aucun contact parce que oui, ils me détestent véritablement. Je ne vais pas essayer de les contacter parce que la manière dont ils vivent leur vie, ça ne m'embête pas parce que je me dis : vous pouvez croire ce que vous voulez et vivre comme vous le voulez, laissez-moi juste libre d'être moi-même, mais c'est quelque chose qu'ils ne peuvent pas accepter. J'ai compris, à un moment, que si je continuais comme ça et que je tolérais tout ce qu'ils font et que je disais oui à tout ce qu'ils voulaient de moi, eh bien que je ne pourrais jamais avoir de vie à moi, je n'aurais jamais de liberté. Qu'est-ce qui m'a donné la force ? C'est de me rendre compte que la liberté coûte cher, mais que ça vaut le coup.

À la suite de la parution de ce livre, vous avez reçu des menaces de mort. Des personnes ont d'ailleurs été arrêtées, elles avaient prévu de vous assassiner. Ça vous fait peur ? Comment vous vivez aujourd'hui ?

Speaker 2: Oui, ça me fait peur. Il y a beaucoup de gens qui m'ont envoyés des messages comme : "Ton jour arrivera. Je vais te tuer". J'ai reçu des photos d'armes et des photos de ma tête décapitée et c'est quelque chose qui est très frustrant parce que je me dis : mais pourquoi est-ce que vous êtes aussi en colère contre moi ? J'ai parlé de moi et de la manière dont je pense. C'est quelque chose de très frustrant. Je vis avec beaucoup de sécurité, beaucoup d'anxiété. Je n'utilise jamais mon vrai nom quand je commande des choses. Je dois faire très attention. Il y a beaucoup de pensées différentes dans ma tête et je commence à être fatiguée de tout ça parce que je voulais la liberté, mais maintenant je ne l'ai pas.

Aujourd'hui, vous écrivez des livres. Est-ce que ce n'est pas d'abord aussi un énorme message d'espoir ? Que tout est possible ?

J'ai cet espoir puisque quand je regarde l'histoire et la manière dont ça s'est passé dans d'autres cultures, je vois que les Français, par exemple, les Hollandais, les Européens en général, il n'y a jamais eu de liberté comme celle d'aujourd'hui. Donc certaines personnes ont dû se battre pour ça, ont dû écrire des livres ou faire des blagues à ce sujet ou écrire des pièces par exemple.

"L'éducation, c'est la manière dont le changement arrive."

Lale Gül

à franceinfo

Je veux vraiment croire que dans le Moyen-Orient également ou en Turquie et dans d'autres pays, c'est possible d'éduquer les gens, de faire qu'ils se rendent compte que la liberté n'est pas quelque chose dont ils doivent avoir peur. Ce n'est pas mauvais ou une mauvaise chose de changer les choses dans la culture, d'avoir la liberté des femmes, par exemple, la liberté en général. D'ailleurs, c'est mieux pour tout le monde.

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