Lara Fabian : "Je ne suis pas rancunière, ma data efface systématiquement les choses les plus douloureuses"
Lara Fabian est l'invitée exceptionnelle du Monde d'Élodie toute cette semaine. Cinq jours pour évoquer ses 30 ans de carrière avec ses hauts, mais aussi ses bas. Celle que les Français ont vu débarquer du Québec dans les années 1990 avec une voix puissante touchant droit au cœur, est devenue, au fil de ses 16 albums, une artiste qui compte aussi bien dans les pays francophones qu’anglophones. C’est sans filtre qu’elle se livre en évoquant des bouts de son histoire, des souvenirs de vie autour de ses chansons devenues cultes : Je t'aime , Adagio, I Will Love Again, J'y crois encore, Immortelle, Tu es mon autre, Humana ou encore La différence. Elle revient sur sa rencontre avec le taulier, Johnny Hallyday, qui lui a donné confiance, sur sa vocation à transmettre ce qu’elle a appris aux autres et puis surtout elle souligne l’importance d’un sentiment qui réchauffe les cœurs fermés : l’empathie.
Durant trois décennies, Lara Fabian n'a jamais cessé de proposer un éclairage sur la vie, avec ses joies et ses peines, des pages qui se tournent et des aventures qui démarrent, à son précieux public. En prélude à la sortie d’un 17e album prévu fin 2024, elle nous a offert en janvier dernier le single Ta peine, écrit et composé avec Slimane et confirme qu’une tournée est à venir.
franceinfo : Vous avez été juré dans des émissions emblématiques, telles que "The Voice" sur TF1 ou encore la "Star Academy" au Canada. Vous semblez aimer transmettre.
Lara Fabian : Absolument. Je me suis découvert cet amour pour la transmission quand, pour la première fois, le Canada m'appelle pour venir faire "The Voice" Québécois. Là, je découvre quelque chose de tellement naturel en moi, de pouvoir comprendre que ce que j'ai accumulé comme outil dans le temps peut être au service de quelqu'un et je peux me sentir utile au travers d'autres choses que juste les chansons que j'écris ou les concerts que je fais. Je vais vraiment me plonger dans cette dimension pédagogique avec énormément de joie et de gratitude.
"Savoir que je pouvais transmettre a été une des plus belles découvertes des dix dernières années."
Lara Fabianà franceinfo
Je voudrais qu'on parle d’Un Ave Maria, on arrive à l'album 9. Avec cet album, il y a une page qui s'est tournée. J'ai l'impression que vous avez décidé de reprendre votre vie en main, à ce moment-là.
En tout cas, je décide de vraiment la raconter. Depuis un espace plus serein peut-être, et aussi plus enjoué. Je l'écris avec Jean-Félix Lalanne, qui est un talent incroyable, et on ne se mettra aucune barrière. C'est le souvenir que je garde de ce moment où on compose cet album, c'est qu'on veut vraiment raconter des histoires dans lesquelles on ne se censure sur rien, et encore moins sur le fait de faire parfois des choses un peu plus alambiquées, un peu plus complexes. Ça va nous amuser particulièrement.
Aujourd'hui, vous êtes une femme qui compte sur la scène musicale internationale. Avez-vous un côté féministe ?
Je fais partie de ces femmes qui aiment profondément les autres femmes, qui leur reconnaissent une grande place, un grand pouvoir. Si c'est ça être féministe, alors je le suis certainement. Mais je ne fais pas partie de ces femmes qui choisissent une autre bannière et qui s'emprisonnent dans d'autres critères. J'aime aussi profondément les hommes. Je crois qu'on peut être extrêmement complémentaires. Si j'ai choisi d'aimer des hommes, c'est plus parce que ce sont des hommes que j'ai aimés et pas parce que je n'ai pas rencontré des femmes qui auraient pu faire sens dans ma vie. Ça m'est arrivé de craquer vraiment pour quelqu'un qui n'était pas de l'autre sexe, mais je n'y ai pas trouvé la résonance qui aurait fait de moi quelqu'un qui allait là. Par contre, j'ai toujours essayé de protéger les femmes d'une façon ou d'une autre.
"La sororité est très relative, même dans le féminisme."
Lara Fabianà franceinfo
Vous avez su vous positionner aussi en faveur du mariage pour tous. La chanson : "Deux ils, deux elles" est devenue un hymne pour toutes les personnes qui se sentaient rejetées. Était-ce un gros engagement pour vous de le faire ?
C'était un engagement qui était pour moi la suite logique de La Différence, malheureusement... J'aurais vraiment aimé ne pas avoir à insister de cette façon encore. Mais c'est un débat infini parce qu'il touche de manière atavique à une peur, une peur fondamentale qui est en fait la peur de mourir. On ne finit pas de continuer d'exister, d'enfanter, mais, malgré tout, cette peur atavique devient constamment et encore une violence incessante à l'endroit de la communauté. Parfois, ça peut vraiment me mettre en colère. Et comme la colère, c'est le refus de la réalité, j'essaie d'accueillir la réalité en la faisant bouger, en la bousculant un peu. Mais parfois, ça a vraiment le don de m'énerver profondément.
Votre état d'esprit, on le retrouve dans la chanson Par amour. Tout est dit, c'est un résumé de tout ce que vous avez déjà raconté au préalable. Que représente cette chanson pour vous ?
C'était une lettre d'amour à quelqu'un qui a quitté ma vie trop violemment, trop vite, sans que j'aie pu prendre la mesure peut-être du mal que j'ai fait. Mais je suis sûre d'une chose, c'est que lui n'a pas pris la mesure du mal que lui s'est fait en partant avant d'avoir pu vraiment en découdre et en débattre. Je crois que les mots sont primordiaux dans la vie. Prendre le temps de s'asseoir pour écouter ce que l'autre a à nous dire. Et j'ai compris, avec le temps, qu'il est impossible de se connecter à quelqu'un si on ne lui donne pas d'abord l'empathie dont il a besoin. Si quelqu'un a besoin d'empathie, vous aurez beau essayer tout ce que vous voulez, quel que soit l'argument, tant que vous ne lui avez pas donné d'empathie, vous ne pourrez pas corriger le tir. Et cette chanson, c'était un peu ça. C'était donner suffisamment d'amour, donc suffisamment d'empathie pour espérer qu'il puisse y avoir par la suite une discussion. Mais ça n'aura pas été possible.
Êtes-vous rancunière ou avez-vous bonne mémoire ?
Zéro. Alors non seulement je ne suis pas rancunière, mais en plus ma data efface systématiquement les choses les plus douloureuses parce que sinon je ne peux pas repartir, je ne peux pas me reconstruire. C'est ce qui a fait que même quand j'avais un genou à terre, voire les deux, j'ai réussi à me relever.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.