"Nos vies sont tragi-comiques, mais surtout comiques" : Philippe Djian présente son nouveau roman "Double Nelson"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivain Philippe Djian.
Philippe Djian est romancier, nouvelliste, parolier, scénariste et auteur du célèbre roman 37° 2 le matin, sorti en 1985, adapté au cinéma par Jean-Jacques Beineix l'année suivante. Il est aussi indissociable de Stephan Eicher pour qui il a écrit plusieurs chansons dont le fameux Déjeuner en paix en 1991. Il publie un nouveau roman, Double Nelson, aux éditions Flammarion.
franceinfo : Double Nelson, c'est un livre sur une histoire d'amour entre un écrivain et une femme commando qui démarre très fort puisqu'elle lui assène une gifle redoutable. C'est difficile d'écrire ?
Philippe Djian : Quand on ne sait pas pourquoi ça n'avance pas, ce n'est pas difficile, c'est plutôt pénible.
À quel moment avez-vous compris que le crayon allait vous accompagner tout au long de votre vie ?
Je voulais être journaliste au début. Complètement dingue, mais c'était la jeunesse, j'étais fou.
C'est un de vos camarades qui vous a donné envie de découvrir la littérature, puis l'écriture avec des carnets, de voyager, de raconter des choses. Ça commence par les Etats-Unis, vous avez 18 ans. Ensuite, il y a la Colombie. Les voyages forment la jeunesse, alors ?
Non. Mais ce qui était drôle, c'était qu'on était bons tous les deux en français. Et on avait un prof qu'on adorait, il était hyper intelligent. Un jour, il s'est levé et nous a montrés, on était toujours assis l'un à côté de l'autre évidemment, et il dit à mon copain Jérôme : "Toi, tu seras écrivain" et il me regarde : "Toi, tu seras journaliste". En fait, c'est l'inverse qui s'est passé.
Dans Double Nelson, on a un écrivain qui a du mal à rédiger, à écrire son roman. Son éditrice, devenue une amie, le presse, lui dit : "Faut que tu avances". Et l'une des inspirations qu'il a, c'est la personne avec laquelle il vit. C'est un vrai regard sur l'amour en général, sur le quotidien, sur comment une histoire passionnelle peut devenir une histoire qui se dirige vers une fin inéluctable.
L'amour dure trois ans, mon camarade Frédéric Beigbeder l'a dit et il a raison. Ce n'est pas normal de vivre longtemps avec quelqu'un. C'est compliqué. Si on ne fait pas des efforts, si on ne cherche pas à comprendre, si on n'avance pas, si on ne grandit pas, c'est compliqué de vivre avec quelqu'un. C'est pour ça que j'ai pris le titre Double Nelson. Le double Nelson est une prise de catch, c'est un truc de soumission. Ce n'est pas pour faire mal. C'est une espèce de ballet bizarre, grâce auquel il y a la possibilité, lorsque on va trop mal de dire : "J'ai compris". On tape un peu par terre, on dit : "Stop".
En même temps, c'est une comédie. J'espère que les gens comprennent que j'ai écrit une comédie parce que moi, ce qui m'intéresse, c'est la tragi-comédie. Parce que nos vies sont tragi-comiques, mais surtout comiques. Plus fort que l'amour, il y a l'affection. L'amour ne dure pas longtemps. Si on ne sait pas quoi en faire, ça explose ou ça se détruit.
"L'affection est un truc qui se construit tout doucement et qui peut éventuellement, pas remplacer l'amour, mais au moins être du même niveau."
Philippe Djianà franceinfo
Je suis tellement conservateur dans mes relations... Ça fait 50 ans que je vis avec ma femme.
Comme quoi c'est possible une histoire d'amour qui dure plus de trois ans !
Parce qu'au bout de dix ans, c'est une personne ; au bout de vingt ans, c'en est une autre et au bout de 30 ans, encore une autre. Et moi, j'évolue avec elle et elle me fait grandir.
Je voudrais qu'on revienne sur 37°2 le matin, sorti en 1985. Qu'est-ce que ce succès a apporté à votre vie ?
Des tas d'emmerdements ! Mon éditeur de l'époque, Bernard Barrault, m'avait dit : "Tu as deux choix, soit on fonce avec Beineix et là, ça va être le succès" parce qu'il savait que ça serait un gros succès, "Ou alors non, on ne fait pas, on attend et alors tu auras du succès, mais dans dix ans". Il me raconte ça au moment où j'en ai trente. Je n'avais pas envie d'attendre dix ans, donc on y va. Quand j'ai vu les proportions que cela prenait, et qui ne m'intéressaient pas, je suis parti vivre aux Etats-Unis et j'avais une espèce d'écho lointain. Il y avait un type qui avait écrit un bouquin qui avait l'air de plaire aux gens, un cinéaste en avait fait un film qui avait l'air aussi de plaire aux gens, mais c'était lointain. Donc, ça ne m'a pas frappé. Ça ne m'a pas touché. À la fin c'était même tellement lourd que je ne voulais plus en parler. Puis on passe à autre chose.
"L'histoire d'amour de '37°2 le matin', je ne la réécrirais pas comme ça aujourd'hui."
Philippe Djianà franceinfo
Est-ce que Double Nelson n'aurait pas pu, finalement, être l'avant 37°2 le matin ?
Non, parce que je trouve que 37°2 le matin n'est pas très bien écrit. Si j'ai pu avancer quelque part depuis 40 ans, c'est simplement au niveau de la langue.
Pour terminer, comment vous définissez-vous ? On parle de romans, de nouvelles, d'écriture avec notamment cette énorme collaboration avec Stephan Eicher. On parle de scénarios aussi, mais finalement, est-ce que ce qui vous tient le plus à coeur, depuis vos débuts, depuis votre plus tendre enfance, ce n'est pas d'abord la poésie ?
C'est marrant que vous me disiez ça parce que c'est vrai, je suis très grand lecteur de poésie. J'adore ça. Pas de n'importe laquelle, mais c'est vrai que je cherche à chaque fois quand j'écris une phrase qu'elle essaie de me séduire. Et elle ne peut me séduire que par un côté un peu poétique. Je pense que oui, vous avez raison. Je cherche toujours un peu ça, mais avec beaucoup d'humilité, parce que je suis incapable d'écrire de la poésie. Je n'aime que la lire.
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