Plantu nous dessine 2024 : "mon boulot, c'est aussi d'énerver"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 10 décembre 2024 : le dessinateur Plantu publie "L'année de Plantu 2024. Merci qui?", en novembre chez Calmann-Lévy Graphic.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Le dessinateur et illustrateur français Plantu pose à Paris le 18 septembre 2015. AFP PHOTO / JOEL SAGET (JOEL SAGET / AFP)

Il est de cette catégorie de dessinateurs qui aime mettre le trait sur ce qui pose question, et même souvent problème. Caricaturiste est l'une des cordes à son arc, celui qu'il sut affûter et qui depuis plus de 50 ans nous envoie des flèches en guise de balisage de terrain. Son arme, la seule et unique qui l'ait jamais accompagné : le crayon. Avec lui, il aime croquer, observer, analyser, nous faire sourire, là où ça fait mal, au point de nous permettre d'avoir bonne mine dans ce monde de brutes. Il débute au journal Le Monde en 1972. Quelque 20 000 dessins plus tard, publiés sur quatre décennies, force est de constater que sa plume reste ancrée dans cet engagement constant. Aujourd'hui, Plantu nous propose son regard sur l'année, riche en désillusions, en tristesse, en joie aussi, notamment grâce aux J.O. de Paris 2024, avec son nouvel ouvrage : "L'année de Plantu 2024. Merci qui? ", publié en novembre chez Calmann-Lévy.

franceinfo : L'ouvrage commence en posant une question : "Peut-on faire des dessins drôles tous les jours ?". Cette question je vous la pose à mon tour.

Plantu : Oui, on pourrait. J'aime déconner, j'aime déraper. Le dérapage, c'est un peu ce que je recherche tout le temps. Mais à la fois, il y a l'actualité. Par exemple, la première partie du bouquin commence avec le 7-Octobre, avec la tragédie en Israël et puis la tragédie suivante avec les Palestiniens. Là, je ne vois pas ce qu'on peut faire de très drôle là-dessus. Mais je vous assure, j'ai l'impression d'avoir des crayons au bout des doigts. 

On me laisse n'importe quoi - un bout de bureau, un bout de table, un bout de papier - et ça y est, ça part. Parce que l'émotion qu'on ressent, elle se transforme en image. En fait, je vois tout le monde en images.

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Depuis 10 ans, vous êtes accompagné d'un homme, d'ailleurs aux pieds de ce studio, pour assurer votre sécurité. Comment vous le vivez ?

Moi, pour faire mes dessins tranquillement, je n'ai pas changé depuis 50 ans. C’est-à-dire que j'ai besoin des journalistes, j'ai besoin de parler, j'ai besoin de me nourrir en regardant la télévision, en écoutant la radio, en lisant beaucoup d'articles en France et à l'étranger. Mais il y a aussi ma vie personnelle, là, évidemment, ça fait drôle de toujours donner les noms de qui je vais voir. Oui, ça c'est un peu curieux de se retrouver dans cette situation où ma vie privée en a pris un coup. Mais le plus grave, ce n'est pas tellement ma vie privée dans un sens, c'est que j'ai honte pour l'idée que je me fais de la démocratie.

Est-ce que justement le manque de culture du monde actuel n'est pas ce qui engendre justement la violence ? Le rejet de l'autre ?

Vous avez tout compris. C'est l'ignorance. Je vois bien qu'on a des moyens formidables pour accéder à l'information - on peut écouter France Info, lire Le Monde, Le Figaro, Libé, ou Le Parisien - mais en 2024, on est dans une situation où les gens sont moins bien informés parce qu'il y a des algorithmes qui flattent le nombril des citoyens. L'autre jour, j'étais dans une école et une petite jeune me donne un dessin sur le Congo et me dit "Pourquoi vous ne parlez pas de ça ?". Du coup, on s'est mis à parler pendant dix minutes de la guerre civile au Congo. Toute la classe a écouté ce qui se passait au Congo grâce à cette petite jeune fille qui m'a interrompu dans la classe, pour raconter qu'il y a d'autres choses qui se passent sur la planète.

Vous vous posez vous-même des questions dans cet ouvrage. Vous vous dites d'ailleurs "qui suis-je, moi, finalement en tant que dessinateur, pour m'emparer des sujets et croquer des situations ?".

Je suis un citoyen de base qui dessine, et j'essaye de comprendre. Point. J'aime aller dans les écoles, j'y vais très souvent et j'y vois la magie du dessin. Un jour dans une classe, il y avait un enfant autiste  et on a entendu le son de sa voix pour la première parce que, du coup, il voyait les dessins, il était dedans. 

Ça, c'est la magie du dessin : les images incitent à lever le doigt et à dire des choses qu'on n'aurait pas dites si on n'avait pas vu ces images.

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Il y a un énorme chapitre qui est consacré à l'école dans cet ouvrage. Vous avez mis en exergue les meurtres de Dominique Bernard et Samuel Patty, assassinés dans l'exercice de leur fonction pour justement transmettre la culture, un regard, et obliger les élèves à connaître des choses pour pouvoir en débattre. Est-ce que cette laïcité existe encore ? Elle signifie quoi aujourd'hui ?

Ce n'est pas difficile. Si on s'endort, la laïcité est morte. Si on ne s'endort pas, il y a tout ce qu'il faut pour la protéger, car il y a des gens qui la détestent notre Marianne. La femme de Dominique Bernard, le professeur assassiné à Arras, m'avait dit que le Tchétchène qui avait assassiné son mari avait prononcé cette phrase : "Tu vas voir ce que je vais en faire de ta Marianne". Si on ne s'endort pas, on peut régler le problème assez facilement. Je vous le dis, je vais dans les écoles. J'ai fondé Cartooning for Peace, une association que j'ai créée avec Kofi Annan, et on a plein de dessinatrices, des dessinateurs qui parcourent les écoles en France, en Belgique et ailleurs pour promouvoir la paix et la liberté d'expression.

Il y a deux choses qui sont en fil rouge chez vous : c'est l'hypocrisie du système, des hommes politiques, de la société, et finalement aussi, notre incapacité à prendre conscience d'un certain nombre de choses, et vous nous obligez à nous poser des vraies questions.

Il faut répéter calmement les choses, il faut les répéter doucement. J'essaie de montrer qu'il peut y avoir de la bienveillance dans les dessins, mais aussi un peu d'énervement bien sûr, je suis aussi là pour énerver. Il n'y a pas longtemps, j'ai fait un dessin sur un mec de l'extrême gauche qui ne voulait pas qu'il y ait de match de foot France-Israël. Bon, bah évidemment que j'énerve. Mon boulot, c'est aussi d'énerver quand même.

À travers ce crayon, vous nous offrez un beau résumé de cette année 2024. La manipulation, les mensonges, l'hypocrisie, les sorties de route, tout y est - la dissolution de l'Assemblée nationale, la dette de la France ou encore le soutien d'Emmanuel Macron à Gérard Depardieu - et dans tout ça, vous cherchez à mettre en lumière les priorités des Français, qui ne sont pas celles finalement des gouvernements.

Les Français, c'est simple, il suffit d'aller leur poser des questions, ils ont des priorités. Alors ça peut être la santé, ça peut être la sécurité, ça peut être l'agriculture, ça peut être le respect des uns et des autres et de la démocratie et de la laïcité. Je traduis en différents chapitres toutes ces priorités des Français et ça ne me paraît pas si compliqué à appliquer.

Pour terminer, malgré la gravité des situations que vous nous offrez en dessin, vous arrivez toujours à apporter de la liberté et une source d'espoir. L'espoir fait vivre, il faut y croire Plantu ?

Certainement parce que je suis un horrible pessimiste. Quand j'écoute la radio, quand je lis les journaux, quand je regarde la télévision, vraiment, je suis un petit peu désespéré. Mais pourquoi je vais dans les écoles ? Parce que j'ai une part d'optimisme, parce que je me dis "ben voilà, j'ai servi à quelque chose aujourd'hui". 

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