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Au Mexique, des armes européennes dans les mains des cartels ?

Au Mexique, les armes fabriquées et vendues par les multinationales européennes sont accusées d'alimenter la spirale de la violence.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Des armes récupérées à Mexico (Mexique), lors d'une opération "armes contre argent" le 24 mai 2011 (BERNARDO MONTOYA / MAXPPP)

"Commerce mortel" : le rapport a été publié ce mercredi 9 décembre par des ONG européennes, américaines et israéliennes - en marge d'une enquête sur les cartels de la drogue, conduite par le collectif mondial de journalistes d’investigation "Forbidden Stories".

Pendant 10 mois, les auteurs de ce rapport se sont plongés dans les documents déclassifiés de l’armée mexicaine. Ils ont étudié tous les achats d’armes effectués par le pays entre 2006 et 2018. Des milliers et des milliers de pages.

108 000 Beretta

Sur cette période, les groupes d'armement européen et israéliens ont vendu au Mexique plus de 238 000 armes à feu, dont au moins 108 000 Beretta italiens, 68 000 Glock autrichiens et 19 000 Heckler & Koch allemands. 

Ces ventes massives à l'armée (seul importateur légal d’armes à feu) posent problème : au Mexique, la violence endémique ne vient pas que des cartels de la drogue, qui tiennent parfois des Etats entiers. Elle vient aussi de la police et de l'armée, qui sont gangrenées par la corruption, comme toute une partie de la classe politique.
On parle de l'un des pays au monde où les habitants font le moins confiance à leur police, régulièrement impliquée dans des assassinats et des violations des droits de l'homme en tout genre.
Un pays où la police revend sur le marché noir les armes saisies aux trafiquants - voire leur propre arsenal.

Un pays où les auteurs et les commanditaires des assassinats ne sont quasiment jamais inquiétés, où plus de 70 000 personnes sont enregistrées comme "disparues", dont on n'a jamais retrouvé le corps, où les homicides par arme à feu sont chaque année plus nombreux : 24 000 en 2019.

Surenchère entre la police et les cartels

Depuis le début des années 2000, la police mexicaine est armée jusqu'aux dents : arsenal de gros calibre, fusils d'assaut, lance-grenade... Un surarmement qui conduit en réalité à la surenchère.

Même les pays qui vendent relativement peu d’armes à l’Amérique latine, comme le Royaume-Uni, ont vu leurs exportations vers le Mexique augmenter au cours des quinze dernières années. Le rapport montre que malgré ce contexte, les multinationales européennes sont assez peu regardantes sur la destination finale de leur marchandise.

Certaines ne signent pas toujours ce qu'on appelle "le certificat d’utilisation finale". Un document, juridiquement contraignant, qui impose au vendeur de préciser à qui est destinée sa marchandise.
Pendant six ans, l’entreprise italienne Beretta n'a par exemple produit aucun certificat alors que l’armée mexicaine a revendu au moins 28 000 pistolets de la marqe
Entre 2008 et 2018, quasiment une arme sur 5 vendue par les européens au Mexique n'a fait l'objet d'aucun certificat : en gros, on sait qu'elle a été vendue mais on ne sait pas où elle est arrivée en bout de chaîne.

Cartels et mitraillette belge 

Même les armes vendues légalement à la police présentent le risque d’être détournées vers des réseaux criminels. Dans l'Etat du Guerrero, tristement célèbre pour sa corruption et ses violations aux droits de l’homme, plus d'une arme sur cinq a "disparu" ou a été "volée" à la police.

Résultat : ces armes se retrouvent entre les mains du crime organisé. Au mois de juin, on a retrouvé un fusil d’assaut de fabrication belge sur les lieux de la tentative d’assassinat du chef de la police à Mexico. L'an dernier, au moment de la fusillade qui a suivi l’arrestation avortée du fils d’“El Chapo”, les enquêteurs ont identifié un lance-roquettes produit par une société norvégienne, des pistolets Beretta et Glock (marques italienne et autrichienne).

Un témoin donne aussi l'exemple de la mitrailleuse FN Minimi, fabriquée à l’origine par FN Herstal en Belgique, devenue l'arme de prédilection des cartels de l'Etat du Sinaloa. Entre avril 2015 et avril 2020, le groupe a expédié 54 cargaisons au Mexique, pour une valeur totale de près de 41,2 millions d’euros. 

Certaines des armes européennes ont également été identifiées dans des affaires d’assassinats de journalistes mexicains.

Meilleure coordination des contrôles

Dans un rapport sur la politique européenne en matière de commerce des armes publié en septembre 2020, les législateurs ont appelé à une meilleure coordination des contrôles des utilisateurs finaux et des contrôles après expédition. Sans résultats à ce stade. D'autant que l'impunité qui règne au Mexique rend pratiquement impossible toute tentative pour retracer le parcours de ces armes à feu.

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