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Haïti : la toute-puissance des gangs armés

Deux Français ont été enlevés dimanche 11 avril en Haïti : un prêtre et une religieuse, capturés par un gang en même temps que huit autres personnes. Un enlèvement crapuleux qui choque le pays et met en lumière la toute-puissance des gangs armés.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le père Michel Briant a été enlevé avec une religieuse, elle aussi de nationalité française, en même temps que huit autres personnes sur l'île d'Haïti, le dimanche 11 avril 2021. (DIDIER DENIEL / MAXPPP)

C'est un enlèvement qui choque d’abord parce que ce sont des gens d’église qui ont été kidnappés. Le groupe se rendait à la cérémonie d’installation d'un nouveau curé quand son véhicule a été arrêté, encerclé. Sous la menace des armes tout le monde a dû descendre avant d’être emmené dans un quartier de la capitale tenu par un gang. Lequel ? La police n'a pas précisé.

"Le curé des pauvres"

Parmi les passagers, il y avait donc deux Français, Agnès Bordeau, religieuse de la Congrégation des sœurs de la providence de la Pommeraye, basée dans le Maine-et-Loire, arrivée en Haïti en 2019. Et Michel Briand, 67 ans, membre de la Société des prêtres de Saint-Jacques, un groupe de missionnaires en Haïti et au Brésil basé à Guiclan, dans le Finistère. Baptisé "le curé des pauvres", il s'était installé à Port-au-Prince il y a 35 ans.

En 2015, il avait déjà été agressé à la sortie d'une banque, touché par deux balles dans le ventre, et était revenu quelques mois en convalescence en Bretagne avant de repartir dans les bidonvilles de la capitale.

Rançon d'un million de dollars

Si les enlèvements sont monnaie courante en Haïti (d’ailleurs qu’on soit jeune, vieux, riche ou pauvre ça ne change rien. Les gangs frappent n’importe qui, n’importe quand), un groupe de 10 personnes kidnappé à 9 heures du matin en pleine rue, c’est le drame de trop.  "C’en est trop. L’heure est venue pour que ces actes inhumains s’arrêtent, a réagi dimanche Mgr Pierre-André Dumas, évêque de Miragoâne. L’Eglise prie et se fait solidaire de toutes les victimes de cet acte crapuleux."

D’autant que le gang soupçonné d’en être responsable, le groupe "400 Mawozo" qui réclame une rançon d’un million de dollars, est connu, ça fait des années qu’il opère à l’est de Port-au-Prince transformée en zone de non-droit : enlèvements, viols, pillages, tortures, assassinats… Comme beaucoup d’autres, il terrorise des quartiers entiers où la population se bat au quotidien contre la misère.

La Conférence haïtienne des Religieux (CHR) exprime dans un communiqué "son profond chagrin", mais aussi "sa colère face à la situation inhumaine que nous traversons depuis plus d’une décennie. Il ne se passe pas un jour sans pleurs et grincements de dents, et pourtant les soi-disant leaders de ce pays, tout en s’accrochant au pouvoir, sont de plus en plus impuissants." D’autant qu’après l’évasion spectaculaire de 300 détenus de la prison de la Croix-des-Bouquets fin février, les violences se sont encore intensifiées

Le laisser-faire des autorités haïtiennes

Les autorités sont complètement dépassées, au mieux impuissantes, au pire complices. Régulièrement accusées de protéger certains leaders, d’utiliser des fonds publics pour calmer les chefs de gang ou même de les employer pour des assassinats bien précis.

Les opérations anti-gangs d'ailleurs tournent souvent au fiasco. Le vendredi 12 mars, quatre policiers ont été tués et les membres du gang se sont emparé des armes des forces de l'ordre. La veille de cet enlèvement, le samedi 10 avril, une opération de police avait eu lieu sur le camp de base du "400 Mawozo" : une quarantaine de maisons fouillées, des véhicules saisis mais une seule arrestation.
Il faut ajouter à cela le fait que le pays est plongé depuis plus d’un an dans une profonde crise politique. Le président Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir et gouverne par décret alors que son mandat aurait du s’achever en février 2020. Les arrestations arbitraires parmi les civils se multiplient.

En mars, un arrêté présidentiel a décrété l’état d’urgence pour un mois dans certains quartiers de la capitale et une région de province, afin de "restaurer l’autorité de l’Etat" dans les zones contrôlées par des gangs. Mais cela n'a rien changé. Le 3 avril, des femmes sont descendues dans les rues pour manifester, réclamer la fin de l'impunité.

Mais la colère enfle dans le pays, où les manifestations pour demander le retour de l’etat de droit sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes.

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