Haïti : la toute-puissance des gangs armés
Deux Français ont été enlevés dimanche 11 avril en Haïti : un prêtre et une religieuse, capturés par un gang en même temps que huit autres personnes. Un enlèvement crapuleux qui choque le pays et met en lumière la toute-puissance des gangs armés.
C'est un enlèvement qui choque d’abord parce que ce sont des gens d’église qui ont été kidnappés. Le groupe se rendait à la cérémonie d’installation d'un nouveau curé quand son véhicule a été arrêté, encerclé. Sous la menace des armes tout le monde a dû descendre avant d’être emmené dans un quartier de la capitale tenu par un gang. Lequel ? La police n'a pas précisé.
"Le curé des pauvres"
Parmi les passagers, il y avait donc deux Français, Agnès Bordeau, religieuse de la Congrégation des sœurs de la providence de la Pommeraye, basée dans le Maine-et-Loire, arrivée en Haïti en 2019. Et Michel Briand, 67 ans, membre de la Société des prêtres de Saint-Jacques, un groupe de missionnaires en Haïti et au Brésil basé à Guiclan, dans le Finistère. Baptisé "le curé des pauvres", il s'était installé à Port-au-Prince il y a 35 ans.
Blessé par balles à Haïti, le prêtre breton Michel Briand a pardonné https://t.co/dRoUNTqy8i pic.twitter.com/jKs0LB1hbf
— Ouest-France 35 (@ouestfrance35) January 3, 2016
En 2015, il avait déjà été agressé à la sortie d'une banque, touché par deux balles dans le ventre, et était revenu quelques mois en convalescence en Bretagne avant de repartir dans les bidonvilles de la capitale.
Rançon d'un million de dollars
Si les enlèvements sont monnaie courante en Haïti (d’ailleurs qu’on soit jeune, vieux, riche ou pauvre ça ne change rien. Les gangs frappent n’importe qui, n’importe quand), un groupe de 10 personnes kidnappé à 9 heures du matin en pleine rue, c’est le drame de trop. "C’en est trop. L’heure est venue pour que ces actes inhumains s’arrêtent, a réagi dimanche Mgr Pierre-André Dumas, évêque de Miragoâne. L’Eglise prie et se fait solidaire de toutes les victimes de cet acte crapuleux."
D’autant que le gang soupçonné d’en être responsable, le groupe "400 Mawozo" qui réclame une rançon d’un million de dollars, est connu, ça fait des années qu’il opère à l’est de Port-au-Prince transformée en zone de non-droit : enlèvements, viols, pillages, tortures, assassinats… Comme beaucoup d’autres, il terrorise des quartiers entiers où la population se bat au quotidien contre la misère.
Au moins 4 passagers ont été blessés dont deux grièvement suite à une attaque armée contre un autobus à destination de Santo Domingo. « 400 Mawozo » sont montrés du doigt
— GABINFO (@GABINFO3) March 3, 2021
Le drame s’est produit dans la localité appelée Papaye, à Ganthier, sur la route de Malpasse pic.twitter.com/VwHAjsz1e3
La Conférence haïtienne des Religieux (CHR) exprime dans un communiqué "son profond chagrin", mais aussi "sa colère face à la situation inhumaine que nous traversons depuis plus d’une décennie. Il ne se passe pas un jour sans pleurs et grincements de dents, et pourtant les soi-disant leaders de ce pays, tout en s’accrochant au pouvoir, sont de plus en plus impuissants." D’autant qu’après l’évasion spectaculaire de 300 détenus de la prison de la Croix-des-Bouquets fin février, les violences se sont encore intensifiées
Le laisser-faire des autorités haïtiennes
Les autorités sont complètement dépassées, au mieux impuissantes, au pire complices. Régulièrement accusées de protéger certains leaders, d’utiliser des fonds publics pour calmer les chefs de gang ou même de les employer pour des assassinats bien précis.
2 Français enlevés et on reparle d’#Haïti.
— Centre tricontinental (@CETRI_) April 12, 2021
Mais combien d’Haïtien·nes enlevé·es, violé·es, tué·es dernièrement?
L’occasion de se poser les bonnes questions sur les liens entre gangs et pouvoir/sur le soutien international à ce pouvoir?#StopSilenceHaiti
https://t.co/cAWEgmzH50 pic.twitter.com/9YsAsZ453P
Les opérations anti-gangs d'ailleurs tournent souvent au fiasco. Le vendredi 12 mars, quatre policiers ont été tués et les membres du gang se sont emparé des armes des forces de l'ordre. La veille de cet enlèvement, le samedi 10 avril, une opération de police avait eu lieu sur le camp de base du "400 Mawozo" : une quarantaine de maisons fouillées, des véhicules saisis mais une seule arrestation.
Il faut ajouter à cela le fait que le pays est plongé depuis plus d’un an dans une profonde crise politique. Le président Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir et gouverne par décret alors que son mandat aurait du s’achever en février 2020. Les arrestations arbitraires parmi les civils se multiplient.
This year women took to the streets to denounce Moise and patriarchal violence--especially the recent spike in kidnappings for ransom by gangs taking advantage of the country's political crisis--and to fight for a free Haiti! pic.twitter.com/xc0Xy2VscJ
— Breaking The Chains (@breakchainsmag) April 4, 2021
En mars, un arrêté présidentiel a décrété l’état d’urgence pour un mois dans certains quartiers de la capitale et une région de province, afin de "restaurer l’autorité de l’Etat" dans les zones contrôlées par des gangs. Mais cela n'a rien changé. Le 3 avril, des femmes sont descendues dans les rues pour manifester, réclamer la fin de l'impunité.
J’espère que tout le monde prend conscience de l’horreur qui se passe en Haïti, à l’heure où je vous parle.#FreeHaïti #FreeHaiti pic.twitter.com/CBtLppjK7l
— Kly (@_klyklyy) April 3, 2021
Mais la colère enfle dans le pays, où les manifestations pour demander le retour de l’etat de droit sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus violentes.
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