Débiteurs anonymes : quand dépenser vire à l'obsession
C'est une réunion sur le modèle de celles organisées par les Alcooliques Anonymes : une quinzaine de participants, réunis dans une salle du centre de Paris. Les chaises sont disposées en cercle, et chacun, à tour de rôle se présente, expose son problème.
"Je faisais comme si l'argent n'était pas réel "
Le point commun des participants, c'est leur endettement compulsif. Ils sont "dans le rouge ", ont souscrit des crédits à la consommation, au point que leur vie est devenue incontrôlable.
C'est le cas de Béatrice, 53 ans, arrivée il y a 10 ans chez les débiteurs anonymes, après plusieurs tentatives de suicide : "Je faisais comme si l'argent n'était pas réel, comme si je n'en avais pas besoin. Quand j'en avais, je faisais des cadeaux pour qu'on m'aime, à des moments où je n'avais rien. J'offrais des foulards de marque, et moi j'allais à la Croix-Rouge et je pouvais manger seulement du pain. Il y a une honte terrible à pas savoir gérer l'argent. On est censés savoir le faire. J'avais l'impression que tout le monde y arrivait sauf moi ".
Béatrice est une "débitrice compulsive ", c'est comme ça qu'elle se présente au début de chaque réunion. Avant de frapper à la porte des débiteurs anonymes, les "DA", comme on dit, elle était incapable de payer son loyer, elle n'avait pas de machine à laver, elle ne pouvait pas prendre sa voiture faute d'argent pour payer l'assurance.
"Si j'arrête d'écouter l'expérience des autres, je fais n'importe quoi"
Cela prend du temps de sortir d'affaire. Certains participent aux réunions depuis plus de 10 ans. Tous ont l'espoir de sortir de la spirale de l'endettement obsessionnel.
Ils considèrent l'endettement compulsif comme une maladie et notent scrupuleusement leurs dépenses et leurs recettes. C'est l'une des règles d'or du programme que Bernard, 56 ans, artiste-peintre, applique à la lettre.
"On a des plans de dépense qui concernent l'alimentation, le loyer, les vêtements, les impôts... Chaque mois, je suis censé dépenser mon argent de façon équilibrée. Et tous ces problèmes sont gérés avec l'aide des autres. On se réunit régulièrement avec deux amis du programme et on examine mes comptes. Si j'arrête d'écouter l'expérience des autres, les peurs se remettent à me dominer et je fais n'importe quoi." (Bernard, 56 ans)
Deux suicides par jour
On rappellera que les difficultés financières peuvent être sources de grande souffrance. On recense, chaque jour, en France, deux suicides liés aux problèmes d'argent.
Ces groupes de parole où, tour à tour les participants jouent le rôle d'animateur, sont plutôt bien perçus par les professionnels. Ces lieux d'écoute permettent aux malades de se confier, ce qu'il est souvent impossible de faire auprès de sa famille constate Michel Lejoyeux.
Il est professeur de psychiatrie et d'addictologie à l'Université Denis-Diderot : "Tout dépendant subit de sa cellule familiale des remontrances, des incitations à faire preuve de volonté. Donc il a une double peine : il subit les conséquences de sa maladie et les conseils totalement inopportuns de gens qui ne le comprennent pas. Ces groupes de dépendants proposent des modèles identificatoires tout à fait positifs, cela veut dire que je suis dépendant et que je vois quelqu'un qui avait la même dépendance que moi et qui s'en est sorti. Quoi de plus optimiste et quoi de plus incitatif que de voir cette image là. "
Il faut aussi des banquiers et des psychologues
S'il reconnaît, lui aussi, les mérites de ce genre de mouvement, Jean-Louis Kiehl, le président de Cresus, association de soutien aux surendettés, met en garde.
Il estime que ces groupes de parole ne peuvent, à eux seuls, régler les problèmes : "Cela ne soigne pas la maladie, ce n'est pas en réunissant un million de lépreux que vous réussirez à régler le problème de la lèpre. Il faut agir et tout de suite frapper à la porte d'une association ou d'une banque, chercher une solution mais pas quand la maison a brûlé. Donc il faudrait ajouter, à ces débiteurs anonymes, des banquiers et des psychologues pour qu'ils donnent des solutions. Il ne suffit pas de tchatcher mais il faut aussi agir " .
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