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Greffe : "Pour le moment rien ne vaut un cœur, un vrai !"

Il y a trois semaines, à l'hôpital Pompidou à Paris, des chirurgiens ont implanté un premier cœur artificiel complet dans la poitrine d'un patient. Un petit bijou de technologie en matériaux biosynthétiques. Cet homme de 75 ans se porte bien. Cette innovation fascine et suscite un enthousiasme chez les personnes en insuffisance cardiaque, et leurs médecins. Mais il ne faut peut-être pas se réjouir trop tôt.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le président de la
société Carmat, Jean-Claude Cadudal a donné une interview exclusive cette
semaine à France Info
. Lui est ingénieur. Il n'était pas dans la salle
d'opération. Mais cela ne l'empêche pas de suivre de très près l'évolution -
très satisfaisante – du patient toujours hospitalisé dans un service spécial.
Car il sait que du sort de ce patient et des trois autres déjà présélectionnés
qui subiront la même opération dans les prochaines semaines à Paris et à
Nantes, dépendra la suite des essais clinique.

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"Je suis
assez serein. Si tout se passe bien, on pourra faire des essais sur une
vingtaine de patients prochainement, et puis passer à l'étape du marquage -CE-. C'est la certification européenne indispensable à une commercialisation
au sein de l'Union. Dans un deuxième temps, on devra aussi passer un examen du
même type pour proposer notre cœur artificiel également sur le marché
américain. Tout cela je l'imagine d'ici 2 à 5 ans"
, explique
Jean-Claude Cadudal.

Un coeur trop lourd pour beaucoup de patients

Il faut dire que le marché potentiel est énorme. Le patron
de Carmat estime que ce cœur artificiel complet dans une forme plus aboutie
pourrait répondre aux besoins de 100.000 personnes par an dans le monde,
et notamment dans les pays développés.

Quand on entend ces propos, on pense
forcément aux malades en attente d'une greffe de cœur. On se dit que ce cœur
artificiel pourrait être la solution pour eux. Et c'est là qu'il faut se garder
d'un excès d'enthousiasme. Et le patron de la société désormais cotée en Bourse
tient lui aussi à rester prudent.

Le cœur Carmat pèse
900 grammes. C'est le double du poids d'un cœur ordinaire – le vôtre ou le
mien. Ce cœur high tech fonctionne avec
des batteries externes qui ont seulement trois heures d'autonomie pour le
moment. Il ne conviendrait en fait qu'à une minorité de patients.

"Même lacer mes
chaussures m'épuise"

Cela ne sera pas la solution pour Sandra par exemple. Cette Vendéenne de 39 ans est un petit gabarit. Comme les trois
quarts des femmes, elle a une cage thoracique trop petite pour un cœur Carmat.
Il lui en faut un vrai. Pour soigner un cancer il y a 15 ans, Sandra a subi
beaucoup de rayons. C'est cela qui a endommagé son cœur.

Sandra, épuisée, passe
ses journées chez elle, sans bouger. Elle est sur la liste d'attente pour une
transplantation cardiaque. "Je m'essouffle pour le moindre effort. Si je me
brosse les cheveux, ou si je lace mes chaussures, cela me fatigue. Je dois
demander l'aide de mon mari
",   confie la jeune femme, coquette.

Sandra attend une greffe depuis "deux ans et 27 jours"

Il semble loin le
temps où elle travaillait comme "mouleuse stratifieuse " dans une
entreprise de construction navale, le temps où elle allait à ses cours de danse
country chaque semaine. Quand on demande à Sandra depuis quand elle est
inscrite sur la liste d'attente pour une greffe, elle répond : "Deux
ans et 27 jours"
.

Sandra compte chaque jour, presque chaque heure, et
se prend souvent à rêver du jour où le CHU de Nantes lui téléphonera pour lui
dire que le moment de la greffe est enfin venu. Sandra confie qu'il lui arrive
secrètement de souhaiter que quelqu'un quelque part décède. Quelqu'un qui
aurait donné le feu vert pour donner ses organes, et grâce à qui elle pourrait
avoir de nouveau un cœur en bonne santé dans la poitrine. "Si je n'ai
pas de greffe cette année, je crois que je baisserai les bras"
,
explique-t-elle sous le regard triste de son mari, lui aussi très impatient.

850 patients en
attente d'une transplantation cardiaque

Rien que dans la région de Sandra,
quinze patients sont, comme elle, en attente d'une transplantation cardiaque.
Sandra confie aussi que quelquefois elle songe à sortir, courir de toutes ses
forces, mettre son cœur dans le rouge pour appeler le SAMU. Elle se dit qu'elle
pourrait ainsi remonter sur cette liste : bénéficier d'une greffe dite de "super
urgence
". Son médecin évidemment l'en dissuade.

"Nos patients, ici dans le service, ne seront pas concernés par cette nouvelle technologie" 

C'est le professeur Trochu du CHU de Nantes.
Il la soutient psychologiquement, et lui demande de garder son portable allumé
24 heures sur 24 au cas où... " En tant que cardiologue, évidemment le
nouveau cœur artificiel implanté le 18 décembre me fascine. Je salue cette
avancée majeure. Mais nos patients, ici dans le service, ne seront pas
concernés par cette nouvelle technologie. Il est donc très important de rester
mobilisés sur les dons d'organes car chaque année des patients qui sont sur une
liste décèdent. D'autres voient leur situation se dégrader à tel point qu'ils ne
peuvent plus être opérés"
, avertit le médecin.

Aujourd'hui en France, 850 patients sont
en attente d'une greffe de cœur. Or on ne devrait pas transplanter au cours de
l'année plus de 350 à 400 personnes. C'est à peu près le nombre de transplantation cardiaque menée
chaque année dans l'Hexagone. Un nombre qui a diminué par rapport aux années 90.
La principale raison ? La baisse du nombre de tués sur les routes. C'est
terrible mais les morts de la route sont souvent des donneurs d'organes "idéaux".

Un donneur d'organes peut sauver sept vie

Il faut savoir qu'il n' y a pas d'âge
limite pour être donneur d'organes, et qu'une personne qui donne ses organes
peut sauver à elle seule sept vies. Claire Macabiau fait partie des 4.200 personnes
qui vivent en France avec le cœur de quelqu'un d'autre. Elle préside la FFAGCP
(Fédération française des associations de greffés du cœur et des poumons), et
elle regrette que la France ne mène pas une politique plus active en faveur du
don d'organes. "Si nous étions tous donneurs d'organes, il y a fort à
parier que les listes d'attente seraient bien moins longues pour les patients
qui espèrent un cœur, un poumon, un rein..."
, explique-t-elle.
Claire  Macabiau a reçu une greffe du cœur il y a 17 ans.

"Grâce à
ce don extraordinaire, j'ai pu retravailler dix ans, sans le moindre arrêt de
travail. J'ai voyagé au Mexique, au Vietnam. Je vis normalement. Le cœur
artificiel c'est sans doute bien mais ça n'est pas vraiment pour demain. Et
pour moi, même si le cœur artificiel est une bonne nouvelle pour la recherche, rien
ne remplacera jamais un cœur..... un vrai ! Je souhaite que beaucoup de
monde encore puisse avoir la même chance que j'ai eue"
, ajoute la
sexagénaire dynamique.

"Il faut en parler quand tout va bien pour que vos proches n'aient pas à se poser de questions le jour où un malheur survient"

Le plus ancien patient greffé du cœur et encore vivant
en France en est lui à 33 ans de greffe. Claire Macabiau invite chacun à ne pas
attendre pour parler autour de soi du don d'organes. "Il faut en
parler quand tout va bien pour que vos proches n'aient pas à se poser de
questions le jour où un malheur survient
", dit-elle.

Que l'on accepte ou non de
donner ses organes, la solution est donc de faire connaître aux siens sa
position. On peut aussi garder dans son portefeuille une carte de donneur
d'organes assez facile à obtenir sur Internet, et dans certaines pharmacies. Car
s'il existe aujourd'hui un registre national du refus de don d'organes auquel
on peut demander à être inscrit si on ne souhaite pas donner ses organes après
son décès, il n'existe aucun fichier positif où figureraient les noms des
donneurs volontaires.

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