Le moine pédophile avait prévenu sa hiérarchie
Ses plus petites victimes avaient
cinq ans, à peine. Frère Pierre-Etienne se considérait un peu comme leur
« oncle ». Un gentil tonton avec une barbe, des lunettes, et une robe de moine
qui inspirait, la plus entière confiance. D’autant que frère Pierre-Etienne
était un peu une icône vivante, dans la Communauté des Béatitudes, mouvement
charismatique, fondé dans les années 70, par un certain Ephraïm, alias Gérard
Croissant. Dans cette communauté, présente aujourd’hui encore dans une trentaine
de pays, les sœurs et les frères formulent des vœux de chasteté, de pauvreté et
d’obéissance reconnus par l’Eglise catholique. Les religieux vivent sous le même
toit que des familles laïques, dans des maisons remplies d’enfants.
Pierre-Etienne Albert est longtemps adulé de tous, grands et petits, parce qu’il
est le brillant musicien qui compose les chants liturgiques sur lesquels tout le
monde danse et chante, joyeusement.
C’est en 1978 que Pierre-Etienne
Albert commet ses premiers attouchements sexuels, sur deux garçonnets, deux
frères, qu’il caresse, dans leur pyjama, pendant leur sommeil, une nuit. Le
moine agit aussi le jour, des enfants sur ses genoux, parfois lors de prières
qui rassemblent de nombreux fidèles de la Communauté. En 1989, il raconte qu’il
confie ses penchants interdits à l’un des responsables des Béatitudes, le
docteur Philippe Madre. Ephraïm, le fondateur, sera aussi informé. Mais personne
ne l’éloignera des enfants. Tout le monde ferme les yeux. Ce n’est qu’en 2001,
que l’une de ses victimes, devenue mère, se décide soudain à saisir la justice,
après une longue errance, une adolescence chaotique. Solweig Ely, qui a été
victime d’attouchements durant les années 1989 et 1990 dépose plainte à
Avranches. Pierre-Etienne Albert est alors convoqué par la justice, reconnaît
aussitôt de lui-même des actes de pédophilie sur quinze victimes, mais la
plainte sera classée sans suite, pour une histoire de compétence territoriale.
Le dossier Pierre-Etienne Albert se perd étonnamment dans les méandres des
tribunaux.
C’est une autre femme, Murielle
Gauthier qui parviendra à stopper définitivement les agissements du moine
pédophile. Cette jolie brune au regard pétillant est arrivée dans la Communauté
des Béatitudes, en 2000, avec son mari et leur petite fille. A l’abbaye de
Bonnecombe, où frère Pierre-Etienne réside alors, Murielle Gauthier a rapidement
« l’intuition » que derrière le religieux en habit, se cache un pédophile.
« Cette intuition ne vient sans doute pas de nulle part, dit-elle, c’est sans
doute parce que moi-même, j’ai été victime de pédophilie durant mon enfance,
dans une autre institution, qui s’appelle la DDASS. »
Après les premiers aveux de 2001, et
l’inexplicable «oubli » de la justice, Murielle Gauthier devient « l’ange
gardien » de Pierre-Etienne Albert. Aidée du père Jean-Baptiste Tison, prêtre de
Bonnecombe, elle ne le lâche plus d’une semelle. Pour qu’il ne fasse plus d’autres victimes. Au
sein de l’abbaye, les autres membres de la Communauté ont déserté, leur
hiérarchie leur a tourné le dos, et les bannit, sans doute parce qu’ils ont osé
dénoncer au grand jour la pédophilie d’un des leurs. En 2007, Murielle Gauthier
pressent que le moine garde encore des secrets. Elle lui donne alors un grand
cahier, lui demande de tout confesser. Frère Pierre-Etienne Albert finit par
dresser une longue liste de 57 noms. 57 enfants victimes. Il écrit les dates,
les lieux, et presque tous les prénoms des enfants. En février 2008,
Pierre-Etienne Albert est enfin mis en examen. Son procès doit durer deux jours
devant le Tribunal correctionnel de Rodez. « Il regrette ses actes et veut
demander pardon », assure son avocate, maître Elisabeth Rudelle-Vimini.
Elle-même regrette que Pierre-Etienne Albert soit seul à comparaître, sur le
banc des prévenus. Pour les responsables des Béatitudes, le délit de
non-dénonciation est aujourd’hui prescrit. Ils seront cités comme simples
témoins, tout comme un évêque, qui avait été alerté, lui aussi, par le courrier
d’une famille.
Copie de la lettre que le frère Pierre-Etienne assure avoir envoyée à sa hiérarchie en 2007 © Radio France Sophie Parmentier
Enquête : Sophie Parmentier.
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