Les habitants du quartier de la Villeneuve poursuivent France Télévisions
Armes, drogues et agressions. Le reportage met l'accent sur les côtés sombres de ce quartier, présenté comme un dédale d'immeubles"secoué par la violence" , livré à tous les trafics et toutes les incivilités. Les mères sont isolées, les jeunes au chômage, les personnes âgées sont passées à tabac. Le reportage s'intitule "Villeneuve : le rêve brisé" et le ton est donné dès les premières minutes : "policiers et jeunes se livrent une guerre de territoire" assure le commentaire.
"Faut pas exagérer, on n'est pas à Chicago" réplique une jeune femme croisée hier sur la place du marché. Elle n'est pas la seule à avoir été choquée par le reportage : 2.600 personnes ont signé la pétition pour demander un droit de réponse à France 2. A la tête du mouvement : Pauline Damiano. Cette éducatrice, qui préside une petite association de quartier, nous montre la vue de sa fenêtre : on voit les tours de la Villeneuve, bien sûr, mais aussi le grand parc où jouent les enfants, les montagnes enneigées. Tout cela, le reportage ne l'a pas montré. La diversité du quartier, et de ses 12.000 habitants, a été occultée selon Pauline Damiano : "les jeunes sont systématiquement présentés en errance, en précarité. C'est honteux de dire ça ! A Villeneuve, il y a aussi des jeunes médecins, des jeunes journalistes... bref, des gens qui réussisent leur vie. On a eu un sentiment énorme de trahison."
"On ne conteste pas la violence, mais c'est seulement une part de la réalité"
Pourtant, ce n'est pourtant pas le premier reportage qui traite de la violence à La Villeneuve. La cité avait beaucoup fait parler d'elle lors des émeutes de 2010, puis en septembre 2012 quand des jeunes du quartier sont suspectés d'avoir tué deux adolescents de la cité voisine d'Echirolles. D'où ce sentiment de lassitude, cette impression d'être sans cesse stigmatisé. Les habitants de la Villeneuve ont cru qu' Envoyé Spécial allait donner une image plus nuancée du quartier. "Bien sûr, on ne conteste pas qu'il y ait du trafic, des voitures qui brûlent... C'est une part de la réalité. Mais il y a autre chose : la richesse du tissu associatif, la qualité des appartements, la relation entre les voisins... Toutes ces choses positives ne sont pas montrées" accuse Gérard Vabre, responsable lui aussi d'une association d'habitants.
Après plusieurs courriers sans réponse, ces militants associatifs décident de poursuivre France Télévisions pour diffamation. Difficile de savoir si leur indignation est partagée par l'ensemble des habitants de la cité : ici, les micros suscitent quelques réticences et recueillir la parole des uns et des autres n'est pas facile. "On a organisé des assemblées où 300 personnes sont venues" note cependant Alain Manac'h, militant bien connu du quartier. "Des gens ont fait des discours, d'autres des rassemblements. Et puis, il y a eu la collecte réalisée sur le marché. En quelques jours, on a réuni de quoi payer les frais de justice." Soit quelque 4.000 euros.
"Rigueur et honnêteté"
France Télévisions, tout comme la société de production qui a réalisé le reportage, a choisi de ne plus s'exprimer sur le sujet. Pas question cependant de se renier. L'enquête a été faite avec "rigueur" et"honnêteté" , nous dit-on au service communication du groupe. En septembre dernier, Guilaine Chenu, l'une des présentatrices d'Envoyé Spécial, avait répondu à nos confrères de France Bleu Isère : "On a pris du temps pour ce reportage, c'est une vraie enquête. On a fait un travail honnête pour montrer la réalité de ce quartier qui, au moment où nous tournons, est très agité par la violence."
Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, lui, n'est pas de cet avis. Dans un communiqué publié en janvier dernier, le CSA a estimé que "la diversité des points de vue n'avait pas été totalement respectée" . Selon les Sages de l'Audiovisuel, France Télévisions a "manqué à ses obligations déontologiques".
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