Prostitution : la pénalisation des clients divise
"On va
perdre nos meilleurs clients" (Cynthia)
"Punir
le client, je suis farouchement contre ", déclare haut et fort
Cynthia, prostituée de cinquante-sept ans qui
travaille depuis plus de 20 ans rue Saint Denis, à Paris. "Je suis
libre, indépendante et heureuse ", clame Cynthia qui tient à son gagne-pain.
Et sanctionner le client, d'après elle, rien de tel pour le faire fuir.
"On va perdre les meilleurs, se plaint-elle, ceux qui
respectent la loi, qui sont corrects, courtois, qui m'offrent
parfois même des cadeaux ". Et Solal, une de ses collègues de la
rue, assure avoir déjà perdu 30% de sa clientèle, notamment à cause du
texte.
"Etre
sanctionné, ça me fait peur" (Eric)
De son côté,
Eric, la quarantaine, l'avoue : les prostituées ça ne le tente plus et
notamment à cause du fameux projet de loi. "Si la loi passe, on
risque gros " reconnait-il : 1500 euros d'amende, 3000 en cas de
récidive et ce n'est peut-être pas tout, "Je suis divorcé,
j'ai mes enfants en garde alternée, donc je me dois d'avoir
une image propre et cela me ferait peur d'être jugé et d'avoir à expliquer à
mes enfants". Eric qui conclut : "Ce projet de loi complique tout
pour tout le monde ". Le texte vise pourtant à protéger les
prostituées.
Une loi pour protéger les
victimes de réseaux
"Mais
on se protège très bien toutes seules ". Voilà la réaction des femmes croisées
rue Saint Denis, même s'il est vrai qu'elles sont minoritaires. En France,
d'après le ministère de l'Intérieur, on compte au moins 20.000 prostituées, et
parmi elles, entre 10 et 20% seulement sont des prostituées dites
traditionnelles, qui se revendiquent indépendantes. Les autres, la grande majorité donc,
viennent de Bulgarie, de Roumanie, du Nigeria, du Cameroun de Chine ou bien
encore d'Amérique du Sud et elles sont, elles, très souvent victimes de réseaux
de proxénétisme.
Le projet de
loi pourrait aider ces victimes. C'est en tout cas l'espoir de Rosen
Hicher, une ancienne prostituée qui milite aujourd'hui au sein du
Mouvement du Nid. "Je passe mon temps à écouter des jeunes femmes perdues
et désespérées ", raconte Rosen, "qui acceptent des violences
extrêmes, d'être attachées, sodomisées avec des
objets ou rabaissées par des hommes qui ne veulent pas mettre de
préservatifs parce qu'elles ont l'impression d'être obligées d'accepter, parce
que le client a tous les droits et qu'il n'est pas
puni ".
Un texte "putophobe",
selon le Strass
"Mais
ce n'est pas en punissant les clients que l'on va sauver ces femmes! " répond
de son côté "Maîtresse Gilda", prostitué et militant au Strass, le Syndicat
du Travail Sexuel. D'après lui, si la loi passe, certains clients seront
sanctionnés certes, des titres de séjour temporaires devraient aussi être
délivrés aux étrangères qui quittent la prostitution, mais cela aura surtout
comme conséquence d'isoler, de fragiliser et de précariser encore un peu plus
les victimes.
"Qu'est-ce que vous croyez ? Que les proxénètes qui
exploitent des filles vont les laisser sur le trottoir alors qu'il n'y a plus
de clients! Non pas du tout, ils vont les coller dans des chambres
d'hôtel ou des squats sordides et c'est eux qui organiseront les
rendez-vous, " s'insurge Gilda. Le Strass dénonce donc un projet
de loi inutile et même "putophobe". D'après lui, les 21 articles
du texte, articles censés protéger les prostituées, finiront par
leur nuire. Médecins du Monde, Act Up Paris, Aides ou encore le Planning
Familial parlent de leur côté de régression sociale.
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