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Un rwandais accusé de génocide devant les assises de Paris

C'est un procès historique qui s'ouvre ce mardi matin devant la cour d'assises de Paris, 20 ans après le génocide au Rwanda qui a fait au moins 800.000 morts en trois mois, essentiellement des Tutsi. Pour la première fois, un Rwandais accusé de complicité de génocide et de complicité de crimes contre l'humanité va être jugé par des jurés français. Des jurés qui ont compétence universelle car l'accusé a été arrêté sur le territoire français. Il y a vingt ans, quand le génocide a éclaté, Pascal Simbikangwa était à la tête des services secrets de Kigali.
Article rédigé par franceinfo
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Pascal Simbikangwa est un ancien capitaine du pouvoir hutu. Il a 54 ans. Il est paraplégique depuis un accident de la route survenu bien avant le génocide. Et depuis toujours au Rwanda, des témoins le décrivent comme un homme violent, qui avait la réputation d'un tortionnaire, même cloué dans son fauteuil roulant.

Quand le génocide a commencé, au soir du 6 avril 1994, juste après l'attentat contre l'avion du président Habyarimana, le capitaine Simbikangwa était au coeur du pouvoir, dans ce qu'on appelle l'Akazu, "la petite maison", qui désignait le cercle rapproché autour du président rwandais. Pascal Simbikangwa se disait d'ailleurs cousin avec le président, qui l'avait nommé chef du service des renseignements rwandais. A la fin du génocide, Simbikangwa a fui vers le Zaïre voisin -aujourd'hui la République Démocratique du Congo. Puis il s'est évaporé.

Un couple franco-rwandais traque les génocidaires

C'est finalement à Mayotte que sa cavale a pris fin. Nous sommes alors en 2008. Simbikangwa trafique des faux papiers au milieu de l'océan Indien. Là-bas, une rescapée Tutsi le reconnaît. Très vite, une plainte est déposée par Dafroza et Alain Gauthier, à la tête du Collectif des parties civiles pour le Rwanda.

Depuis des années, ce couple franco-rwandais traque les génocidaires qui se cachent en France. Ce premier procès, qui s'ouvre ce matin, à Paris, est pour eux une victoire. "Je le ressens comme une victoire pour les victimes. On peut dédier cette victoire surtout à ceux qui ne sont plus là pour venir accuser ", dit Dafroza Gauthier, qui a perdu presque toute sa famille Tutsi dans le génocide. Son mari, Alain Gauthier, assure que Pascal Simbikangwa fait partie des "planificateurs " du génocide.

Pascal Simbikangwa a par exemple participé à la création de la RTLM, la fameuse Radio Télévision Libre des Mille Collines, qui a incité à tuer les Tutsi. Sa journaliste vedette, condamnée à la perpétuité, assure que le capitaine Simbikangwa est venu lui-même dans les studios durant les cent jours du génocide. Il est surtout accusé d'avoir armé les tueurs Hutu, explique Alain Gauthier. "Des témoins ont vu des armes entassées chez lui, et l'ont vu distribuer ces armes " sur les barrières de contrôle où les miliciens demandaient les cartes d'identité des Tutsi et des Hutu.

Ces crimes, Pascal Simbikangwa les a toujours niés. Comme de nombreux génocidaires pourtant condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha. Pour ses avocats, Me Alexandra Bourgeot et Me Fabrice Epstein, Pascal Simbikangwa n'est pas complice du génocide des Tutsi. Ils assurent que le capitaine Simbikangwa "a accueilli des Tutsi chez lui, Tutsi qu'il a aidés à fuir du Rwanda. C'est peut-être un Juste ", prétendent-ils. Durant ce procès hors norme, de nombreux témoins viendront de Kigali et des vertes collines du Rwanda.

Les jurés français légitimes pour ce procès

A la barre, il faudra un interprète, car plusieurs témoins ne parlent que la langue locale, le kinyarwanda. Face à ces témoins, il y aura trois juges professionnels et six jurés populaires français dont certains n'ont peut-être jamais vraiment entendu parler du génocide rwandais. Leur légitimité est néanmoins entière estime maître Simon Foreman, avocat du Collectif pour les parties civiles du Rwanda.

"Comme on ne peut pas dire que le génocide des Juifs, c'était l'affaire des Allemands, on ne peut pas dire que le génocide des Tutsi, c'est l'affaire des Rwandais ", martèle-t-il. "On appelle ça un crime contre l'humanité parce que ça affecte l'humanité en elle-même. Et un citoyen français tiré au sort pour être juré dans une cour d'assises française est aussi légitime qu'un juge international ".

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Ce procès exceptionnel, qui doit durer au minimum six semaines, sera entièrement filmé, pour les archives de l'Histoire. Comme les procès Barbie, Papon ou Touvier. Il devrait être le premier d'une longue liste. Une vingtaine d'autres génocidaires rwandais arrêtés en France attendent leur procès.

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