Le vrai du faux. Astérix et Obélix : les scènes de chasse au sanglier vont-elles être supprimées des BD en anglais ?
Un journaliste a annoncé que les BD des deux héros gaulois seront remaniées par leur éditeur britannique pour enlever les symboles de maltraitance animale. L'information a été reprise sur les réseaux sociaux… mais c'était bien un canular.
"Ils sont fous ces Anglais !" "Siphonnés, ils deviennent tous siphonnés !" "Astérix et Wokelix", s'alarment plusieurs internautes en partageant un tweet du journaliste Lucas Jakubowicz annonçant que "la maison d'édition qui publie Astérix et Obélix en anglais va retoucher les albums pour cacher les sangliers rôtis et scènes de chasse, symboles de maltraitance animale pour certains. Elle juge également 'problématique' le nanisme et l'obésité des deux héros", ajoute-t-il. Sauf que tout cela est faux. Itinéraire d'un canular qui a mal tourné.
La maison d'édition qui publie Astérix et Obélix en anglais va retoucher les albums pour cacher sangliers rôtis et scènes de chasse, symboles de maltraitance animale pour certains.
— Lucas Jakubowicz (@lucas_jaku) March 2, 2023
Elle juge également "problématique" le nanisme et l'obésité des deux héros. pic.twitter.com/hi1h0vVs8h
Des élus RN pris au piège
L'histoire commence jeudi 2 mars. Le journaliste politique Lucas Jakubowicz, rédacteur en chef de Décideurs Magazine, invente de toute pièce cette fausse information et la publie sur Twitter sans préciser qu'il s'agit d'une blague. Son tweet ressemble point pour point à ceux que font les journalistes quand ils révèlent une information sur le réseau social, avec un rond rouge au début pour interpeller les internautes.
Si certains restent dubitatifs à la lecture de son tweet, d'autres y croient directement et le partagent, dont plusieurs élus du Rassemblement national. "Mais faites-les taire !", s'exclame le porte-parole du parti, Julien Odoul. "Il est de plus en plus difficile de vivre dans ce nouveau monde qu'on tente de nous imposer : intolérance, bien-pensance autoproclamée, démagogie, jugement permanent...", réagit le député RN Kevin Mauvieux dans un tweet aujourd'hui supprimé, mais repéré par France Inter. "Mettre en avant des Gaulois blancs hétérosexuels cisgenres comme peuple indigène de la France est déjà fasciste en soi. Il faut tout changer. Des idées ?", commente, sarcastique, le vice-président du groupe RN au conseil régional d'Île-de-France Aymeric Durox, dans un tweet également à présent supprimé.
Le canular a fait tant de bruit que la maison d'édition française a finalement démenti l'information auprès du Parisien.
Les œuvres de Iam Flemming et Roald Dahl réécrites
Les internautes moins crédules s'interrogent sur la pertinence de faire un tel canular quand on est journaliste, mais Lucas Jakubowicz assume. Interrogé par Le Parisien, il dit avoir "l'esprit taquin" et faire "un canular par an" pour lequel il "essaie d'être dans l'actualité et de trouver l'idée la plus crédible possible". Le journaliste politique explique avoir voulu "dénoncer la censure, le wokisme ambiant" dont les "partisans sont des gens dangereux qui ne se rendent pas compte qu'ils prennent ainsi la voie du totalitarisme".
Le mot wokisme, venu des États-Unis et signifiant "éveillé", est utilisé en France principalement par des personnes situées à droite voire à l'extrême droite de l'échiquier politique pour discréditer les luttes contre les discriminations, mais l'existence réelle d'un tel courant de pensée fait débat. Pour Lucas Jakubowicz, cela existe bel et bien.
Pour preuve, il a créé sa blague en se basant sur des faits réels, car il est vrai que, ces derniers temps, des œuvres très connues ont commencé à être un peu réécrites dans le monde anglo-saxon, au point que l'auteur des Versets sataniques, Salman Rushdie, lui-même victime de censure et visé par une fatwa pour ce roman, a dénoncé une "censure absurde".
Les derniers exemples de ces réécritures sont la suppression des passages racistes dans les romans d'espionnage de Ian Flemming mettant en scène James Bond. Ou, fin février, le remplacement de certains mots jugés "offensants" dans les livres pour enfants de Roald Dahl. L'expression "truc de fou" devient "truc bizarre" pour ne pas stigmatiser les maladies mentales. Un personnage "énormément gros" est maintenant juste "énorme".
Difficile de démentir une fausse information
Alors même si, on le sait tous, Obélix n'est pas gros, le canular était tout de même particulièrement crédible, surtout aux yeux de ceux qui pensent en effet que tout cela est dû au wokisme. Le canular s'est appuyé sur ce qu'on appelle un "biais de confirmation" qui fait qu'on tend à croire ce qui prouve les opinions que l'on a déjà. Et c'est aussi ce biais de confirmation qui fait que la blague est tenace et qu'il est difficile de démentir une fausse information. Quatre jours après sa publication, certains internautes y croient encore. D'autres, qui y ont cru, reconnaissent que c'était faux. Par ailleurs, le député Julien Odoul n'a toujours pas supprimé son tweet.
Finalement, l'histoire a pris une autre tournure pendant le week-end, des internautes, plutôt d'extrême droite, qui n'ont pas aimé être trompés ont commencé à s'en prendre au journaliste Lucas Jakubowicz. Lui qui voulait dénoncer le wokisme, reçoit depuis des insultes et des messages antisémites.
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