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Vrai ou faux
L'immigration coûte-t-elle 54 milliards d'euros à la France chaque année, comme l'affirme la députée RN Gisèle Lelouis
"L'immigration coûte 53,9 milliards d'euros par an à notre pays ! Imaginez tout ce qui pourrait être réalisé pour les Français avec cet argent", clame Gisèle Lelouis, députée Rassemblement national des Bouches-du-Rhône, sur le réseau social X (anciennement Twitter). Ce chiffre est-il vrai ou faux ?
🔴L’immigration coûte 53,9 milliards par an à notre pays !
— Gisèle Lelouis (@gisele_lelouis) August 25, 2023
Imaginez tout ce qui pourrait être réalisé pour les Français avec cet argent.
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Quelque 53,9 milliards d'euros en 2023, selon une estimation
L'estimation donnée par l'élue est en réalité largement surestimée et provient d'une étude qu'il faut prendre avec prudence. Gisèle Lelouis cite un article du journal Le Figaro intitulé "L'immigration coûte plus qu'elle ne rapporte". Il se fait écho d'une étude réalisée par Jean-Paul Gourévitch pour l'association Contribuables associées, consacrée à la dénonciation de l'excès, selon elle, de dépenses publiques. Dans cette étude qui se présente comme la seule véritable analyse exhaustive sur le sujet, son auteur explique avoir comparé d'un côté les dépenses publiques liées à l'immigration et de l'autre les bénéfices de l'immigration en termes de productivité, de cotisations sociales et d'impôts. Sa conclusion est claire : le solde est négatif, 53,9 milliards d'euros en 2023.
Néanmoins, contrairement à ce que sous-entend la députée, ce chiffre ne porte pas sur tous les ans mais uniquement sur l'année 2023. Le même auteur a fait d'autres études pour les années précédentes, toujours avec des soldes négatifs, mais avec des coûts inférieurs.
Par ailleurs, cette étude comporte plusieurs limites. Dans une interview au Figaro, son auteur reconnaît lui-même qu'il n'a pas eu accès à tous les chiffres officiels des dépenses et les a parfois remplacés par des estimations. De plus, tout en reconnaissant qu'il y a des bénéfices réels à l'éducation des immigrés et à leurs descendants, il dit aussi qu'il est "quasi impossible" de les calculer, tout comme les bénéfices des aides aux migrants. Or, si on enlève les bénéfices du calcul, cela fausse la comparaison avec les dépenses. Par ailleurs, certaines dépenses comptabilisées ne sont pas à destination des immigrés, comme des dépenses sécuritaires, la lutte contre certaines formes de délinquance ou la lutte contre l'immigration illégale.
D'autres publications de l'auteur de l'étude critiquées
La dernière précaution à prendre tient à son auteur lui-même. Jean-Paul Gourévitch n'est ni économiste ni statisticien. C'est un ancien consultant international sur l'Afrique, il se dit politiquement neutre mais il est adepte de la théorie du grand remplacement. Depuis une quinzaine d'années, il a réalisé plusieurs études dénonçant le coût de l'immigration mais celles-ci ont été plusieurs fois critiquées pour leur manque de rigueur scientifique. En 2014, alors que les éditions First avaient demandé à Jean-Paul Gourévitch d'écrire le livre Les Migrations pour les nuls, Virginie Guiraudon, directrice de recherche du Centre d'études européennes de Sciences Po, dénonçait auprès de l'AFP une "manipulation des chiffres". "On ne sait jamais d'où ils viennent, à quoi ils se rapportent", déplorait la sociologue, "il utilise des termes qui n'ont aucune rigueur scientifique" et qui "alimente[nt] un discours anti-immigrés et anti-élites qui profite à l'extrême droite".
L'auteur de l'étude a aussi été qualifié de "faux scientifique" sur France Culture par David Doucet, journaliste auteur de La Fachosphère, comment l'extrême droite remporte la bataille du net. François Héran, directeur de recherche à l'Institut national des études démographiques (Ined), déplorait quant à lui le fait que Jean-Paul Gourévitch écrivait sur "le mode de la dénonciation du complot". Répondant à ces nombreuses critiques, l'ancien consultant assurait être "vraiment indépendant" et vouloir simplement lutter contre ce qu'il appelle "la désinformation".
Jean-Paul Gourévitch a aussi été épinglé en 2019 par Checknews de Libération pour ses calculs sur le nombre d'immigrés et de descendants d'immigrés en France.
Coût de l'immigration : un calcul impossible ?
Ce sujet pose une question plus fondamentale : est-ce réellement possible de calculer le coût ou les bénéfices de l'immigration ? "C'est un calcul impossible", répondait l'historien Benjamin Stora à l'AFP en 2014 lors de la polémique sur le livre "pour les nuls", estimant que "l'immigration particip[ait] aussi au rayonnement de la France dans le monde, sur le plan de la culture, des affaires, de la diplomatie".
C'est en effet très difficile parce que les bénéfices ne se comptent pas qu'en retombées économiques directes. D'ailleurs, aucune estimation ne fait l'unanimité, même celles qui sont reconnues par les spécialistes. Nous pouvons tout de même en citer deux. En 2021, des universitaires lillois ont publié une étude portant sur la période allant de 1979 à 2011. Celle-ci conclut aussi que le solde est négatif en moyenne : selon les années, soit l'immigration ne coûte rien, soit elle coûte 10 milliards d'euros maximum. Loin des 54 milliards d'euros cités par Jean-Paul Gourévitch.
La même année, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié une autre estimation qui examinait une période plus récente, allant de 2006 à 2018. Selon elle, au contraire, l'immigration rapporte plus qu'elle ne coûte et a permis à la France de gagner au moins 10 milliards d'euros chaque année en moyenne. Au moins parce que ce calcul prend en compte les dépenses envers les adultes et les enfants ainsi que les bénéfices directs des adultes mais pas les bénéfices à long terme des investissements dans les enfants.
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