Le vote de ministres-députés à l'Assemblée est-il une violation de l'esprit de la Constitution ?

La députée Rassemblement national Marine Le Pen avait dénoncé sur BFMTV la participation de ministres-députés au vote qui a permis la réélection jeudi de la macroniste Yaël Braun-Pivet au perchoir, estimant cela contraire à l'esprit de la Constitution.
Article rédigé par franceinfo, Armêl Balogog
Radio France
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Marine Le Pen juge contraire à la Constitution la participation de ministres-députés à l'élection du ou de la présidente de l'Assemblée nationale. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Bruno Retailleau s'en était déjà ému juste après les législatives. Le président du groupe Les Républicains au Sénat avait questionné jeudi 11 juillet sur Cnews la possibilité pour les 17 ministres, élus députés au début du mois, de participer à l'élection de la présidente ou du président de l'Assemblée nationale jeudi 18 juillet. À ce moment-là, ce n'était qu'une éventualité. Depuis, les choses se sont confirmées : les ministres démissionnaires ont voté, participant à la réélection jeudi de la macroniste Yaël Braun-Pivet. 


Cela déplaisait aussi à Marine Le Pen. "Ça s'appelle, quoi qu'on en dise, une violation de l'esprit de la Constitution puisqu'il y a là, incontestablement, une confusion des pouvoirs, avait dénoncé la présidente du groupe Rassemblement national à l'Assemblée sur BFMTV la veille du scrutin. Or, la séparation des pouvoirs est un des principes de base de notre démocratie". Est-ce vrai ou faux ?

Ministre et député, des fonctions "incompatibles"

En effet, le fait que des ministres soient aussi députés va bien à l'encontre de l'esprit de la Constitution qui est très claire sur ce point. Son article 23 stipule que : "Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire."

Néanmoins, si on creuse un peu plus, on se rend compte que la situation est tout de même rendue possible par les textes fondateurs de la Ve République. L'article 23 de la Constitution prévoit qu'une loi organique fixera les conditions de cette incompatibilité. Cette loi organique, entrée en vigueur en 1958, la même année que la Constitution, est depuis inscrite dans le code électoral (article LO153), précise plusieurs choses.

Sauf en cas de gouvernement démissionnaire

D'abord, que "l'incompatibilité établit par ledit article 23 entre le mandat de député et les fonctions de membre du gouvernement prend effet à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la nomination comme membre du gouvernement", que "pendant ce délai, le député membre du gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin", mais que "l'incompatibilité ne prend pas effet si le gouvernement est démissionnaire avant l'expiration dudit délai". Autrement dit, selon une certaine interprétation de cette loi organique, être ministre et député n'est pas incompatible si le gouvernement est démissionnaire dans le délai d'un mois après le début du cumul des deux fonctions.

Les 17 ministres dont parlait Marine Le Pen ont été élus députés le 7 juillet. Le gouvernement de Gabriel Attal est démissionnaire depuis le 16 juillet. Une petite dizaine de jours se sont écoulées entre les deux événements, soit bien moins d'un mois, par conséquent l'incompatibilité ne prend pas effet. Juridiquement, il était donc permis aux 17 ministres-députés de voter pour participer à l'élection au perchoir jeudi 18 juillet.

Une façon de "torturer le droit"

Cela n'empêche pas plusieurs constitutionnalistes, dont Benjamin Morel dans Libération, d'estimer qu'il s'agit d'une "façon de torturer le droit parce que la Constitution de la Ve République est vraiment écrite et pensée pour empêcher le cumul de la fonction de ministre et du mandat parlementaire. C’est quelque chose auquel Charles de Gaulle tenait énormément parce qu’il jugeait que cela représentait un risque d’instabilité".

D'autant que, selon Anne Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public, et Jean-Pierre Camby, professeur associé à université de Versailles Saint-Quentin, interrogés par Public Sénat, il n'y a pas réellement de contrôle possible sur cette incompatibilité puisque le Conseil constitutionnel s'est déjà déclaré incompétent sur le sujet dans le passé. Finalement, il revenait à la présidence sortante de l'Assemblée de décider de les en empêcher en fixant des règles du vote.

Cela s'est déjà produit en 1967 et en 1988

Cette situation est singulière mais ce n'est pas une première dans l'histoire de la Ve République qu'un gouvernement démissionne avant l'ouverture de la session de droit dans l'hémicycle. C'est déjà arrivé une première fois en 1967, au troisième gouvernement de Georges Pompidou, sous la présidence du Général de Gaulle, rappellent le juriste Pierre Avril et Jean-Pierre Camby dans la Revue politique et parlementaire.

Et une seconde fois en 1988, avec beaucoup de similitudes avec la situation actuelle. Le président socialiste François Mitterrand avait dissout l'Assemblée et de nouvelles élections législatives s'étaient tenues, élisant certains ministres députés. Le gouvernement de Michel Rocard avait ensuite présenté sa démission, le président l'avait acceptée dix jours plus tard, et Michel Rocard et ses ministres démissionnaires élus députés avaient ainsi pu participer à l'élection au perchoir. C'est comme cela que Laurent Fabius était devenu président de l'Assemblée nationale pour la première fois.

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