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Vrai ou faux
La non prise en charge de la santé mentale coûte-t-elle 110 milliards d'euros à la France, comme l'affirme Boris Vallaud ?

Lors de la rentrée du Medef, le député socialiste Boris Vallaud a appelé à investir dans la santé mentale pour permettre aux Français d'aller bien et de pouvoir travailler.
Article rédigé par franceinfo - Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le député socialiste Boris Vallaud; le 21 septembre 2022. (THOMAS SAMSON / AFP)

"Vous savez quel est le coût de la non prise en charge de la santé mentale en France ?", a lancé le député socialiste des Landes Boris Vallaud, mardi 29 août, lors d'un débat sur l'État et les dépenses publiques pendant les journées de rentrée du Medef. "110 milliards", a-t-il continué, avant de demander à ses débateurs s'ils ne pensaient pas"qu'il y aurait à investir dans la santé mentale pour que précisément les gens se sentent bien pour aller au boulot". 110 milliards, vraiment ?

Un chiffre datant de 2007

C'est faux. En réalité, c'est encore plus. Contactée par franceinfo, l'équipe du président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale explique que l'élu s'est basé sur un chiffre donné par le Comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie lors de sa création en 2018. Mais en réalité ce chiffre est encore plus vieux. Par ailleurs, il ne parle pas uniquement de la non-prise en charge de la santé mentale, comme le dit l'élu un peu vite, mais du coût de la santé mentale en générale – ce dont l'équipe du député convient. Celui-ci rappelle d'ailleurs à franceinfo que les députés socialistes présenteront un plan "santé mentale" à l'automne 2023 avec un chiffre mis à jour.

Néanmoins, ce coût de 110 milliards d'euros doit être pris avec précaution. C'est la conclusion d'une étude publiée par des médecins et des chercheurs français en 2012, qui est citée notamment par la Haute autorité de Santé. Elle conclut précisément à 109 milliards d'euros. Mais ses calculs parlent de l'année 2007. L'étude a compté les dépenses réelles pour la prise en charge médicale (13,4 milliards d'euros) et médico-sociale (6,3 milliards d'euros), soit environ 20 milliards d'euros.

Le reste, soit environ 90 milliards d'euros, est à prendre avec précaution car il s'agit d'un coût théorique composé à la fois d'une estimation d'un manque-à-gagner en raison de la perte de production causée par les troubles psychologiques (24,4 milliards d'euros) et, pour une plus grosse partie, d'une conversation en argent de la perte de qualité de vie de la population (65 milliards d'euros). Autrement dit, environ 80% des 110 milliards cités par le député sont uniquement abstrait. "Cette agrégation présente l'intérêt de la simplification [ce qui permet de comparer la France à d'autres pays européens] et présente le point de vue de l'Assurance maladie et du médico-social, des entreprises et de la population", explique à franceinfo Isabelle Durand-Zaleski, qui a participé à l'étude, "mais la somme totale ne représente en aucun cas une dépense réelle. La seule vraie dépense est la somme médical et médico-social".

Quelque 163 milliards d'euros en 2018

Une fois ces précautions mentionnées, il faut surtout rappeler que l'étude est assez ancienne. Une équipe de chercheurs, dont à nouveau Isabelle Durand-Zaleski, en ont publié une seconde au printemps 2023. Elle porte sur l'année 2018 et ses conclusions sont encore plus élevées. Selon elle, le coût de la santé mentale était de 163 milliards d'euros cette année-là, soit une hausse de 50% en 11 ans. 

Les dépenses médicales montaient en 2018 à 23 milliards d'euros, les dépenses médico-sociales à 13 milliards d'euros. Quant aux estimations, elles s'élevaient à 44 milliards d'euros en ce qui concerne le manque-à-gagner dû à la baisse de production et 83 milliards d'euros pour la perte de qualité de vie.

Une autre analyse faite par l'OCDE à l'échelle européenne, portant sur l'année 2015, a des conclusions différentes, mais elle ne prend pas en compte d'estimation de la perte de qualité de vie, qui représente une grande partie des conclusions de l'étude des chercheurs français. L'OCDE conclut à des dépenses réelles plus élevées que ces chercheurs : 29 milliards d'euros pour le médical et 26 milliards d'euros pour le social, soit 55 milliards d'euros de dépenses réelles. L'OCDE y ajoute 25 milliards d'euros de coûts indirects en compte uniquement la perte de productivité par l'absence d'emploi, l'absentéisme et le présentéisme. 

Tous ces chiffres datent d'avant le début de la pandémie de Covid-19 qui a fait augmenter les problèmes liés à la santé mentale, mais "il est trop tôt pour faire un bilan", assure Isabelle Durand-Zaleski. Certains chiffres pourraient même être contre-intuitifs et avoir diminué car "durant la pandémie, les dépenses réelles (médicales et médico-sociales) ont diminué puisque l'accès aux soins était limité". Impossible donc pour l'instant de dire si le coût de la santé mentale est à présent plus ou moins élevé qu'en 2018.

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