Micro européen. Croatie : Rijeka, le réveil de la belle endormie…
Rijeka en Croatie et Galway en Irlande, deux villes portuaires, capitales européennes de la culture 2020.
La capitale de la culture européenne est une idée émise en 1985 par l’actrice et chanteuse grecque Mélina Mercouri, ministre de la Culture de la république hellénique et son homologue français, Jack Lang. Ainsi deux villes européennes sont désignées capitales européennes de la culture pour une année civile. L’occasion de mettre en valeur ces cités en y développant des programmes culturels, mettant en lumière la diversité culturelle européenne.
L’autre atout réside dans l’action des villes européennes qui peuvent se porter candidates en ayant force de proposition dans leur candidature quant à leur patrimoine culturel et historique, mais aussi dans la présentation d’un plan destiné à leur mise en valeur ; dans l’espoir d’être les heureuses élues. Car, être désignée "Capitale européenne de la culture", c’est surtout l’occasion de procéder à de grands travaux de réhabilitation et de remise à niveau du tissu urbain, d’enrichir la ville et de promouvoir son patrimoine ; lui apporter une image à l’international.
Ainsi, chaque année, ce programme de la Commission européenne réunit un groupe d’experts, de spécialistes culturels, qui étudient et instruisent les dossiers de propositions, dont le résultat est transmis au Conseil de l’Union européenne qui désigne les heureuses élues. Aujourd’hui, ce sont plus d’une cinquantaine de villes qui ont reçu ce titre, dont Avignon, Lille et Marseille pour la France, par cette diplomatie culturelle. Cette année deux ports sont honorés, l’irlandais Galway donnant sur l’Atlantique nord, et le croate Rijeka, sur l’Adriatique.
Le fonds européen "Europe creative"
Plus concrètement, il s’agit, pour les villes ainsi mises à l’honneur, de promouvoir leur patrimoine et leur dynamisme culturel à travers l’organisation de dizaines d’expositions, festivals et autres événements, tout en bénéficiant d’une couverture médiatique non négligeable, grâce à la labellisation européenne, soit une nouvelle cure de jouvence. Et cette dernière est aussi possible grâce au fonds européen du programme Culture "Europe creative", qui ne permet pas un financement tota,l mais participe à la mise en place d’actions dont la ville élue bénéficiera plus tard, par le biais médiatique, touristique, l’image de marque se transformant en retombées économiques.
Ainsi la subvention européenne pour Rijeka est de 18,80 millions d’euros. Rijeka veut utiliser ce fonds pour, entre autres, créer un musée de la ville, une bibliothèque municipale, trois bâtiments culturels et surtout une maison des enfants, dédiée au développement de la créativité des plus jeunes, une grande première en Croatie. C’est aussi l’occasion pour la Croatie de mettre en avant ses artiste, à travers des expositions de sculptures permanentes.
Une reconnaissance pour la Croatie
À n’en pas douter, cette année est l’année de la Croatie. Tout a commencé en juin dernier, par l’élection au poste de Secrétaire générale du Conseil de l’Europe, de l’ancienne ministre des Affaires étrangères de Croatie, Marija Pejčinović Burić, puis, en janvier 2020, la Croatie prenant pour la première fois la présidence de l’Union européenne, et aussi pour la première fois, une ville croate est élue capitale européenne de la culture, Rijeka.
Rijeka sort de l’ombre
Rijeka, l’Histoire a signé le plus grand port de Croatie. Romaine, celte, vénitienne, province illyrienne*, austro-hongroise, yougoslave sous le royaume, puis croate durant la Seconde Guerre mondiale, yougoslave titiste, enfin croate membre de l’Union européenne.
Troisième ville du pays, Rijeka signifie "rivière" en croate, comme Fiume en italien, ainsi l’appelait-on aussi. D’ailleurs, l’Italie est très présente à Rijeka. La ville prévoit 600 événements durant cette année civile, dont une exposition consacrée à l’Autrichien Gustav Klimt, sous le titre "Amour, mort et ecstasy". Rijeka se veut le "port de la diversité" et en a fait son slogan pour cette consécration. Trois thèmes sont les clés de Rijeka dans sa promotion de Capitale européenne de la culture, l’eau, le travail et la migration.
L’eau
L’eau parce que l’eau de Rijeka est la plus pure de toute la Croatie et que Rijeka est la ville la plus pluvieuse du pays. La transition est toute trouvée pour un programme sur la diversité biologique, les problématiques écologiques et la préservation de l’environnement marin ou terrestre.
Entre autres, Rijeka va développer le programme "Sweet & Salt", destiné à faire revivre son bord de mer, soit la partie où la rivière Rječina rejoint la mer, c’est-à-dire la renaissance d’aires urbaines dans d’anciennes structures industrielles du port. Cette action est nommée "sweet & salt", "sweet" donc doux, parce que la rivière Rječina signifie "douce", et "salt", sel, en référence à la mer.
Le travail
Le travail parce qu’il est un droit fondamental et que de nombreuses réflexions se font jour quant à la notion de travail ; Rijeka se voulant ainsi le centre d’importantes réflexions quant au travail et ses environnements, avec par exemple une exposition "Times of power", soit, le travail comme moyen de résilience et symbole de liberté.
La migration
La migration parce que Rijeka a toujours été ce carrefour d’ethnies, de civilisations, cette porte autant ouverte sur la Méditerranée, les Apennins, les Alpes, la Pusta* et l’Orient. Ce port symbole de mobilité, de découvertes, d’explorations, un lien vers l’ailleurs, vers l’inconnu vers la richesse ou la pauvreté, mais un cœur ouvert qui ne s’est jamais trop fermé, et a toujours été européen. Soit le reflet d’une ville riche d’avenir. Autre action culturelle de Rijeka, la rénovation des châteaux de la célèbre famille Frankopan, que l’on trouve dans tout le Comitat de Primorie-Gorski Kotar, dont Rijeka est le chef-lieu.
Le yacht de Tito
Pour celles et ceux qui ont visité Rijeka, un navire rouillait naguère sur le port. Majestueux, impressionnant, il s’agit du Galeb (la mouette en croate) le yacht de Tito. Celui-ci va être restauré et converti en musée et attraction touristique.
De Fiume à Rijeka, l’histoire…
Dans ses nombreuses expositions, Rijeka va en consacrer une à son passé austro-hongrois, quand elle s’appelait Fiume et quelle fut rendue célèbre, malgré elle, par l’écrivain et poète italien Gabriele d’Annunzio. À 52 ans, engagé dans le premier conflit mondial, officier de cavalerie, on le verra autant dans les tranchées, que dans des actions commandos dans des canots automoteurs ou des vols au-dessus de Trieste dont il perdra un œil, tout ceci contre l’armée austro-hongroise. Député avant 1914, d’Annunzio se voyait un destin politique national italien et y crut, à Fiume.
Lors du Traité de Londres en 1915, quand l’Italie changea de camp, Rome voyait d’un très bon œil de récupérer Fiume, possession austro-hongroise, et très proche de Trieste. C’était aussi le vœu de la population de Fiume dont les origines étaient plutôt italiennes, pour ce qui concerne le littoral. Ainsi, en juin 1919, des troubles éclatèrent entre les troupes italiennes et françaises occupant Fiume, les alliés réduisirent alors le contingent italien. Un régiment italien fut désigné responsable de ces troubles, les "Grenadiers de Sardaigne" qui se replièrent sur Trieste. C’était le début d’un "pronunciamento" d’officiers qui en appelèrent à d’Annunzio.
Le jour tant espéré pour Gabriele venait d’arriver, il allait marcher sur Fiume à la tête des 20.000 "Grenadiers de Sardaigne", c’était le 12 septembre 1919. Les "Grenadiers de Sardaigne" chassèrent les troupes alliées, et "le conquérant de Fiume" s’établissait dans cette ville pour une année pour une éphémère dictature. Le "destin historique" de d’Annunzio s’annonçait, il désirait rattacher Fiume à l’Italie, mais par le refus du gouvernement italien et le fait que d’Annunzio ne fit aucun cas du Traité de Rapallo (1920 entre le royaume d’Italie et le royaume de Yougoslavie, au respect de leurs frontières communes), il fonda la "Régence italienne du Quarnaro", (Reggenza Italiana del Carnaro), Quarnaro du nom du "golf de Carnaro", la baie de Kvarner en croate "Kvarnerski zaljev". Quant au gouvernement italien, il commença le blocus de Fiume, attendant que d’Annunzio renonce.
Ce fut fait entre le Noël 1920 et le jour de l’an 1921 quand la marine italienne bombarda la ville. Fiume allait devenir ensuite un État libre placé sous la protection de la SDN. L’expérience "dannunzienne" fut une ébauche de prise de pouvoir pour Mussolini. Souvenir de l’ère italienne de Fiume/Rijeka, une blague existe encore sur cette côte croate : un homme demande à un jeune garçon de Rijeka qui est-il, et le jeune de répondre "Io ?... sono Croata !...", il lui répond en italien et non en croate, "moi, je suis Croate… ».
À noter tout de même que le seul état qui reconnut la Régence italienne du Quarnaro fut la naissante Union soviétique. La belle endormie Rijeka vaut bien un détour à son réveil !...
* Province Illyrienne, les provinces illyriennes étaient des territoires annexés par la France de 1809 à 1813, dont la Croatie au sud de la Save soit l’ancienne marche d’Istrie et la côte adriatique du Royaume de Croatie.
* Pusta la prairie hongroise
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