"Quand j'avais 16 ans, j'étais très naïf" : le jeune homme sur une célèbre photo de Mai 68 témoigne, cinquante ans après
Qui étaient et que sont devenus ceux qui ont fait Mai 68 ? Une photo prise le 6 mai 1968, en plein quartier latin symbolise parfaitement les évènements. Pourtant, la réalité est tout autre.
C'est une photo, en noir et blanc, que l'on n'oublie pas. Elle est signée Gilles Caron, 28 ans à l'époque, un as du photojournalisme. Il prend son cliché le soir du 6 mai 1968, mais grâce au flash la scène est clairement visible : une course poursuite entre deux hommes, un policier bras et matraque en l'air, prêt à frapper, qui se précipite sur un jeune homme. Celui-ci tente de s'échapper mais il est en train de glisser sur le trottoir, trempé.
Depuis 50 ans, les légendes de la photo, maintes fois publiée, ont varié. Certaines parlent d'un étudiant enragé poursuivi par un CRS sous une pluie fine vers deux heures du matin : tout faux. En vérité, il est environ 21 heures, il ne pleut pas, et derrière les deux hommes se trouve une caserne de pompiers, d'où l'eau sur la chaussée.
Il s'agit bien d'un policier mais pas d'un CRS. Quant au jeune homme, il n'est pas étudiant, il n'a que 16 ans et il tout sauf enragé : "Quand j'avais 16 ans j'étais très naïf. La vie pour moi se résumait entre le catholicisme, les scouts, et les albums de Tintin qui rentraient à la maison. Le monde était organisé assez simplement dans ma tête", explique Thierry Verret. C'est lui, sur la photo de Gilles Caron, qui est sur le point de prendre un coup. À l'époque Thierry Verret vit dans une HLM de la Celle Saint-Cloud, près de Paris. Il est en seconde, et ne connaît rien à la politique.
Conscience politique nulle ! Zéro !
Thierry Verret, le jeune homme sur la photoà franceinfo
Mais alors comment se retrouve-t-il, à Paris, sous la matraque ce 6 mai 1968 ? Par curiosité : "On n'avait pas la télévision. Et ceux qui l'avaient n'avaient pas d'image. Sur les événements, on écoutait Europe 1 avec mon frère. Nous avions l'impression d'une insurrection à Paris. On se demandait avec mon frère, si on ne pouvait pas jeter un coup d'œil".
Un train pour Paris et les "événements", par curiosité
Thierry et son petit frère prennent donc le train ce jour là, direction Paris et son Quartier Latin. Rue de Rennes, ils tombent sur une barricade, tentent de la contourner, en prenant la petite rue du Vieux Colombier. Sans crainte.
"On n'a rien vu. Je n'ai su qu'après, mais une vingtaine de policiers étaient postés dans un coin de la rue Bonaparte. Ils ont surgi dans notre dos, l'un a crié : 'Il y a un petit salopard là-bas !' Je pensais que j'étais loin, mais il m'a rattrapé en cinq enjambées". C'est là, précisément devant le 13 rue du Vieux Colombier, que Gilles Caron prend sa fameuse photo, juste avant la chute de Thierry.
Il m'a matraqué sur le dos. À plusieurs reprises. Sur le moment il y a une telle dose d'adrénaline qu'on ne sent pas le coup.
Gilles Verret
Et ce policier, quelle est sa version des faits ? Impossible désormais de la recueillir, Roger Charretier est décédé en novembre 2016. Il avait 86 ans. Mais Thierry Verret l'a rencontré. C'était il y a 8 ans. L'ex-matraqueur et l'ex-matraqué s'étaient croisés pour les besoins d'un documentaire diffusé sur France 5. On y découvrait un policier inquiet, presque tourmenté : "Je n'ai pas arrêté d'y penser, disait Roger Charretier. Vous avez occupé mes pensées au moins une fois par jour depuis 40 ans".
Un jeune homme devenu éditeur, qui n'a jamais manifesté
Un policier qui s'en veut et un jeune homme là presque par hasard. On est loin de l'ambiance véhiculée par la photo de Gilles Caron. Encore plus loin quand on sait que Thierry Verret, malgré des accointances avec la gauche, n'a jamais manifesté de sa vie.
Jamais ! Jamais milité non plus.
Thierry Verret
Pas un soixante-huitard, Thierry Verret est devenu éditeur et patron de groupe de presse au CV très long. Aujourd'hui à 66 ans il reçoit dans des bureaux parisiens superbes truffés d'oeuvres d'art. Des sculptures, des tableaux, et puis des photos... dont la photo de Gilles Caron, joliment encadrée au mur. Il y a quelques années, le héros involontaire du précieux cliché a fini par se l'offrir.
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