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Le bac pro poursuit sa mue entre orientation "choisie" et "par défaut"

Depuis 2008, le baccalauréat professionnel se prépare en trois ans au lieu de quatre. A partir de cette année ses lauréats seront prioritaires pour aller en BTS. Quels ont été les effets réels de cette réforme, qui concerne un tiers des bacheliers ? Des chercheurs ont voulu le savoir...
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
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Des chercheurs du Centre de Recherches en Education de
Nantes, Centre Henri Aigueperse – UNSA : Pierre Yves Bernard, James Masy,
Vincent Troger. Titre de leur enquête : Le baccalauréat professionnel en trois ans : les élèves de LP entre
nouvelles trajectoires de promotion scolaire et risques d'espoirs déçus
.

Depuis
2008, le bac pro se prépare donc en trois ans, comme les autres bac. Cela
a-t-il changé son image ?

Oui.  87% de ces nouveaux entrants en bac pro
avaient demandé en premier choix l'orientation vers la voie professionnelle,
81% se disaient satisfaits ou très satisfaits de leur orientation un mois
après la rentrée, et surtout, 59% déclaraient choisir le bac pro avec
l'intention explicite de poursuivre des études après le bac

On
est donc loin de l'image du bac pro choisi "par défaut"

En apparence oui, ce n'est plus une
orientation subie. Mais elle reste privilégiée par des élèves qui disent avoir
été malheureux au collège. "J'en avais marre des cours généraux, ça se
passait mal quoi. En fait je me levais le matin pour me dire : mais en fait qu'est-ce
que je fous en cours ?".  Le bac pro
attire donc toujours des élèves mal à l'aise avec  les
contraintes scolaires (" C'est pas que ça me dérange, mais rester assis
toute une journée je ne peux pas. (...) Ecouter quelqu'un parler pendant huit
heures je ne peux pas, je pouvais pas "
).

Comment
les chercheurs expliquent-ils cette contradiction ?

Le bac pro en trois
ans, qui ressemble donc à un vrai bac, permet en fait de mettre d'accord
parents et enfants : les premiers y trouvent leur compte en termes d'ambition
scolaire, les seconds échappent à la forme classique. Un élève l'explique :
" Quand je leur ai dit (aux parents) que je continuais, ils étaient
contents. Ils préféraient que je continue les études plutôt que rester à rien
faire ".
Ainsi, écrivent les
chercheurs, " 
l'orientation professionnelle " par défaut " devient
une orientation plus souvent assumée dans le cadre de stratégies de "
contournement ", pour accéder au baccalauréat et aux poursuites d'études
post-baccalauréat sans avoir à subir la contrainte de l'enseignement général ".
La réforme a donc créé des écarts en lycée pro : il continue à accueillir
des élèves "par défaut", mais il accueille aussi des élèves qui viennent
avec l'ambition de faire des études supérieures.

**Une
seconde enquête a été menée en 2012. A-t-elle permis de confirmer cette analyse ?

**

Oui. 61 % des élèves
interrogés au printemps 2012, un mois avant le passage du baccalauréat, déclaraient
vouloir poursuivre leurs études ou leur formation, en incluant la recherche de
contrats de travail en alternance. Et c'est toujours le BTS qui concentre leurs
ambitions avec 64 % des voeux de poursuite d'études.

Ces
résultats sont-ils homogènes selon le profil des bacheliers professionnels
?

Non. 54% des enfants
issus de l'immigration veulent poursuivre des études, alors que 41% des élèves
nées en France de parents français envisagent de chercher un emploi à temps
plein. Les auteurs expliquent qu'on retrouve " un résultat bien connu des
enquêtes réalisées sur la scolarité des enfants d'immigrés, qui montrent que
l'aspiration aux études traduit une certaine forme de rejet de la condition
ouvrière propre aux enfants de familles immigrés et anticipe une discrimination
à l'embauche qu'on s'efforce de compenser par le diplôme ". Autre
divergence importante : venir d'un milieu populaire (père ouvrier ou
employé) diminue la probabilité d'exprimer un souhait de poursuite d'études.
Mais le discriminant le plus marquant n'est pas l'origine nationale ou sociale
c'est le logement :   " la probabilité de poursuite d'études
est considérablement augmentée quand les parents sont propriétaires de leur
logement ".

Et
après le bac pro, comment se passent les études dans le supérieur ?

Pas toujours très
bien. A cause de l'écart de niveau entre ce
qui est appris en bac pro et ce qui est attendu ensuite. Et c'est évidemment le principal défi de la réforme qui vise à les pousser massivement en BTS : " Je m'attendais
pas avoir un aussi haute marche à monter. Je sais pas ce que ça va donner parce
que j'ai beaucoup de difficultés dans certaines matières. Surtout les matières
générales parce que on a moins de choses qu'on apprend, qu'en bac général ".

Mais les difficultés de ces élèves tiennent aussi à la charge de travail exigée en BTS :
ils sont confrontés, écrivent les chercheurs " aux conséquences des
habitudes contractées depuis le collège et le LP, où le travail scolaire se
résumait pour eux, au mieux, à la réalisation plus ou moins approximative du
travail prescrit, et où le passage dans la classe supérieure s'obtenait avec un
minimum d'effort ".

Que
faire pour améliorer les choses ?

Les auteurs suggèrent trois axes. Le premier : la
modularisation des parcours." La délivrance du bac pro se faisant déjà en partie
par unités capitalisables, il paraît envisageable de rendre les parcours du bac
pro plus flexibles pour laisser le temps aux élèves qui en ont besoin d'une
année supplémentaire". Le deuxième serait de généraliser les systèmes de remise
à niveau. Ils plaident enfin pour adapter le temps de travail des enseignants à
la surcharge
de travail que la réforme a entraînée pour eux : "gestion plus difficile des
stages en entreprises avec des élèves plus jeunes, mise en oeuvre d'un suivi
individualisé des élèves sans moyen supplémentaire, organisation de la
certification intermédiaire en parallèle du cursus de la classe de première".

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