Les enseignants rétifs à la pression des évaluations
C'est
ce que montrent les chercheurs Vincent Dupriez et Régis Malet dans un
ouvrage qui vient de sortir aux éditions De Boeck sous le titre L'évaluation
dans les systèmes scolaires.
Ce " pilotage par les
résultats " nous vient des pays anglo-saxons...
Oui.
Angleterre et Etats-Unis. Là-bas, la logique est poussée extrêmement loin. Il
existe toute une batterie de tests, dont les résultats sont rendus publics. Si
vous, enseignant, ou votre établissement, n'atteignez pas les objectifs fixés,
cela peut se traduire par des sanctions qui peuvent aller jusqu'à la fermeture
de l'établissement. A contrario, si vos performances sont bonnes, vous aurez
des primes et votre établissement aura plus de subventions.
Rien de tel en France...
Non,
on en est loin. Mais la logique est bel et bien à l'œuvre. Ainsi la direction
de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'Education nationale a
été rebaptisée il y a quelques années direction de l'évaluation, de la
prospective et de la performance. Clairement on veut faire le lien entre ce que
les évaluations des élèves indiquent et l'idée de performance du système. Et
ces évaluations, vous en trouvez à tous les étages : ce sont les livrets
personnels de compétences, les évaluations que passent les élèves en primaire,
évidemment le brevet, le bac, etc.
Pour l'instant, dans la majorité des
cas, les résultats ne sont pas rendus publics...
Non.
Xavier Darcos avait promis de le faire en 2007 mais il avait dû reculer. Son
idée était de publier sur internet les évaluations des écoles primaires, afin
que les parents sachent si l'école dont dépendait leur enfant était au niveau.
Cela s'inscrivait dans une logique d'assouplissement de la carte scolaire. Tous
les pays qui diffusent ce genre d'informations sont aussi des pays où les
parents ont, au moins dans une certaine mesure, la liberté de choisir
l'établissement de leur enfant. L'autre idée, plus ancienne, est que la
diffusion de ces résultats peut permettre aux équipes éducatives de se situer
les unes par rapport aux autres. Et si elles constatent, à population
équivalente, qu'elles ont de moins bons résultats, eh bien c'est censé les
motiver à s'améliorer. C'est l'idée de responsabiliser les professionnels de l'éducation.
Et ça marche ?
Non.
Pour plusieurs raisons. La première, que rappellent les auteurs, c'est que le
rôle de l'école ne peut être réduit à la stricte délivrance de savoirs. Elle
porte aussi des valeurs, elle a des responsabilités sur la façon dont les
enfants et les adolescents vont concevoir le " vivre ensemble ", elle
se saurait se résumer à un lieu de gavage de connaissances. La deuxième raison,
c'est que cette approche suppose que les familles peuvent choisir leur
établissement et donc avoir des stratégies différentes. Ça entre totalement en
contradiction avec la tradition du service public, qui prétend offrir la même
éducation à tous – même si par ailleurs chacun sait très bien qu'il n'en est
rien, à commencer par les enseignants. Troisième facteur : les élèves
n'ont pas tous le même niveau, la même aide à domicile ; leur réussite ne
dépend donc pas exclusivement de la qualité de l'enseignement délivré à
l'école.
Comparaison n'est pas raison...
Exactement.
A quoi s'ajoute un hiatus entre ce qui est demandé aux enseignants et ce que
mesurent de telles évaluations. Ce qui leur est demandé, en tout cas en France,
c'est d'être attentif à tous les élèves, de ne pas en laisser certains sur le
bord de la route. Or si on fait la course à la performance, on peut être obligé
de renoncer à s'occuper de ceux qui ralentissent la classe pour se concentrer
sur les plus hauts potentiels.
Ce genre d'approche introduit aussi une
défiance entre parents et enseignants.
Oui.
Elle rompt le contrat de confiance implicite. Elle transforme la relation
éducative en relation prestataire-client.
Ce " pilotage par les
résultats " est moins fort en France que dans les pays anglo-saxons, mais
il existe tout de même. A-t-on mesuré ses effets ?
Ils
avaient été théorisés voici quinze ans par un grand directeur de l'évaluation,
Claude Thélot, qui avait beaucoup œuvré pour que l'Education nationale diffuse
les résultats des évaluations. Son idée était qu'il y aurait un " effet
miroir ", que les enseignants et les responsables d'établissements
allaient spontanément essayer d'améliorer leurs pratiques au regard des
résultats des autres. On sait aujourd'hui que ça ne fonctionne pas. " Leur
position oscille le plus souvent entre de l'indifférence et de
l'hostilité " explique ainsi Vincent Dupriez dans un entretien paru dans
le Café pédagogique. Ensuite il arrive tout de même que les chefs
d'établissements s'emparent de ces évaluations et en fassent des instruments de
réflexion collective. S'ils arrivent à construire une adhésion, cela peut
marcher. Mais c'est bien ce travail et non le pilotage par les résultats en
tant que tel qui permet des améliorations.
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