Tir de barrage des enseignants-chercheurs contre la reconduction de Geneviève Fioraso
L'opposition à Geneviève Fioraso s'est faite très intense ces derniers
jours, avec notamment la publication d'une pétition, vendredi dernier, signée
par plus de 7.000 enseignants-chercheurs, soit plus de 10% des
enseignants-chercheurs.
Que dénonce cette pétition ?
La poursuite de la politique engagée par la précédente majorité et
incarnée par la loi LRU de Valérie Pécresse. La nouvelle loi, celle de
Geneviève Fioraso, n'aurait pas entraîné de véritable changement selon les
signataires. Ils dénoncent d'abord une précarisation accrue des conditions de
travail, aussi bien au plan humain avec des " chargés de Travaux dirigés
congédiés la veille des cours " ou " le non-recrutement et la précarisation
de fait des non titulaires " que sur le plan matériel – " dégradation
des lieux d'enseignement, chauffage coupé "...
Est-ce un
problème de budget ?
En partie. Ils rappellent que
l'UVSQ a été mise sous tutelle. Pour eux, " le système qui a rendu cette
situation possible est en place dans toutes les universités. " Ils citent
aussi l'Association des sociologues
enseignants du supérieur selon qui, je cite d'autres universités avec des
ressources et des statuts fort différents connaissent actuellement, du fait de
l'autonomie imposée, les mêmes difficultés financières qui menacent leurs
missions d'enseignement et de recherche à court et moyen termes. "Egalement dans le viseur : la façon dont se constituent les Comue, les communautés d'universités.
Cette colère vient uniquement de ces difficultés financières ?
Non. Elle se nourrit aussi d'un sentiment de
désintérêt, presque de désamour. La pétition dénonce " le peu de
crédit accordé à la parole même des chercheurs et des enseignants, le peu de
respect pour le travail des personnels administratifs noyés sous le flot
incessant des réformes, des réorganisations et autres refontes de nomenclatures
qui ne cessent de produire des situations inextricables et des injonctions
contradictoires ". Ce malaise est profond, il est également relayé par une lettre du groupe Jean-Pierre Vernant, et on en trouvait déjà trace dans
une étude réalisée en 2012 auprès de 2400
enseignants d'université interrogés par la Fédération nationale
des syndicats autonomes de l'Enseignement supérieur
et de la Recherche.**** 60,5% d'entre elles
estiment que les conditions dans lesquelles elles exercent leur métier
ne correspondent pas à l'idée qu'elles s'en étaient faite lors de leur prise de
fonction.
Au banc des accusé : les tâches
administratives...
Oui. " Je pensais consacrer 75% de mon temps à la recherche et 25%
à l'enseignement. Aujourd'hui je consacre moins de 20% de mon temps à la
recherche, 25% à l'enseignement et tout le reste à faire tourner la
machine " dit un de ces enseignants-chercheurs. Un autre : " 70%
d'administration, 25% d'enseignement, 5% de recherche, ce n'était pas vraiment
ma conception de l'enseignement-supérieur ". Ils sont ainsi 55% à juger
trop pesantes ces tâches administratives.
En quoi consistent-elles ?
Direction des diplômes, organisation des colloques, correspondance avec
les étudiants et les institutions, journées portes ouvertes, visites dans les
lycées, salons de l'éducation, admission post-bac... Ce qui a surpris les
enseignants-chercheurs, c'est l'ampleur de ces tâches, dont ils pensaient
qu'elles relevaient de l'administration.
Et pourquoi l'administration ne les
remplit pas ?
Parce que les universités sont
notoirement sous-administrées. A cette pénurie s'ajoute un mode
d'administration que les enseignants-chercheurs jugent outrageusement
tatillons. Cerise sur le gâteau, écrivent les auteurs de l''étude, " pour
beaucoup de collègues, disposer d'un bureau où il est possible de travailler,
pouvoir effectuer ses tirages en temps voulu, disposer d'un ordinateur etc...
relèvent du luxe. "
La faute au manque de moyens, donc...
Oui. Qui affecte aussi la qualité de
la recherche car il faut aujourd'hui passer beaucoup de temps à chercher de
l'argent. Cette tâche " tend à se généraliser " : " je suis devenu un chercheur de crédits "
dit une des personnes interrogées ; " on
ne fait plus de la recherche scientifique mais de la recherche de moyens... "
renchérit un autre, et là aussi la surprise domine : " je ne pensais pas
passer autant de temps à chercher de l'argent " témoigne un troisième.
Le
paradoxe, c'est qu'on demande aux chercheurs de publier toujours plus...
Oui. C'est l'effet Shanghai,
référence à ce classement mondial des universités né il y a dix ans et qui fait
de la quantité d'articles de recherche publiés l'alpha et l'oméga de
l'excellence universitaire au niveau mondial. " La recherche en université
elle est contrainte par la règle de la masse critique qui se base sur une
notion quantitative et non qualitative " dénonce un enseignant-chercheur. D'autres
affirment que " cette évaluation permanente entraîne une mise en
concurrence nuisible entre les chercheurs dégradant l'ambiance dans les
laboratoires " et dénoncent une
" ambiance de suspicion généralisée "...
Derrière
ces récriminations, n'y a-t-il pas aussi la question de la liberté des
chercheurs ?
Si. Liberté entravée selon eux, le
reproche revient en boucle. Dans l'expression " Liberté et
responsabilité des universités ", le nom de la loi Pécresse de 2007, c'est
le terme " responsabilité " qui semble l'avoir emporté. " Cette
loi a modifié en profondeur le rôle social de l'université et le métier
d'universitaire dans lequel je me suis engagée dès 1984, témoigne une
enseignante. Je ne me suis pas engagée dans l'université française pour être
réduite à produire des savoirs favorables à la compétitivité, à former des
étudiants à la compétition, subir au quotidien la pression de
l'administration ". Le gouvernement Ayrault avait évité une fronde des
universités. Rien ne dit que le gouvernement Valls y parviendra.
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