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"Le bonheur, c'est individuel, on est une société de gens heureux mais la société n'est pas heureuse", Jean Viard

Le contexte international ne prête pas à sourire mais avec le sociologue Jean Viard on parle du bonheur aujourd'hui car demain, dimanche 20 mars, c'est la journée mondiale du bonheur.  

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le 20 mars, journée mondiale du bonheur depuis 2012. (Illustration) (JGI/JAMIE GRILL / TETRA IMAGES RF / GETTY IMAGES)

Le 20 mars a été proclamé Journée mondiale du bonheur et du bien-être par l'Assemblée générale des Nations unies du 12 juillet 2012. On parle donc du bonheur dans Question de société avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.  

franceinfo : Qu'est ce qu'une société heureuse Jean Viard, est-ce que la société française en est une ? 

Jean Viard : En fait, le bonheur, c'est individuel. Vous voyez, avant la pandémie, il y avait 75% des Français qui disaient qu'ils étaient heureux. Après la pandémie, maintenant, il y en a 80%. Au fond, on est une société de gens heureux parce que quand vous êtes malade, on soigne, vous avez un enfant à l'école, etc. et parce que le bonheur individuel dans nos sociétés, on sous-estime trop cet élément, parce qu'on est noyé dans une société de sondages, de chiffres de l'INSEE etc. Il y a des gens modestes, heureux. Il y a des gens pauvres, heureux. Il y a des riches désespérés. C'est vrai que les gens aisés sont un peu plus heureux que les autres, soyons quand même réaliste. Mais ce n'est pas un critère de fond.

En ce moment, il y a 70% des Français qui ont des jardins. Leur grand problème, c'est est-ce qui va pleuvoir, comment je taille mes rosiers, ça ne rentre dans aucune statistique. Et de même, il y a tous les gens qui sont amoureux, etc. C'est pour ça que je dis, on est une société de gens heureux. Par contre, effectivement, la société n'est pas heureuse, c'est-à-dire que souvent je dis : "bonheur privé, malheur public". Effectivement, on sait pas où va la France. On ne sait pas bien ce que sera notre avenir, où va le monde. On n'est pas très sûr de gagner la bataille climatique. Ne parlons même pas des guerres et de la pandémie.

Donc, on est dans une société de gens heureux, il faut le dire et le répéter, parce que sinon, on comprend rien à ce qui se passe. La société n'est pas à feu et à sang, etc. Pourquoi ? Parce que la plupart des gens sont heureux, mais ils sont heureux dans une société qui est effectivement un peu en désarroi, mais pas particulièrement la société française. 

Si le bonheur est individuel, est-ce que c'est à l'Etat, aux politiques, de s'occuper de notre bonheur, de nous offrir les conditions pour qu'on le trouve ?

Ça, c'est un peu l'idée des pays totalitaires. Moi, je pense que le rôle de l'Etat, c'est de favoriser "les cadres", que l'école marche bien, que les hôpitaux marchent bien, que la sécurité fonctionne. L'État nous garantit un cadre et un projet qui nous garantit aussi des études pour nos enfants, une retraite paisible ou agréable, c'est ce cadre qui joue. Mais après, c'est le chemin que vous y faites vous, c 'est votre chemin à l'intérieur de ce cadre. Moi j'ai tendance à penser : j'aime pas trop que l'État s'occupe de mon bonheur.

L'adage veut que l'argent ne fasse pas le bonheur, mais quand même, évidemment, c'est une question qui se pose. Là, on nous dit par exemple que l'inflation, la montée des prix en ce moment sera durable. Ça inquiète forcément une partie des Français. À quel point est-ce que c'est une menace pour le bonheur individuel ? 

Oui, ça inquiète, mais en même temps, c'est momentané. Bien sûr qu'il y a des gens qui, en ce moment, ont du mal à faire le plein, etc. donc ça leur crée des angoisses, je suis tout à fait d'accord avec ça. Mais n'oublions pas le fond, c'est-à-dire qu'on est une société relativement paisible, relativement solidaire, avec des tensions. C'est normal dans les médias, ce sont les aspects tensions qu'on met en avant. C'est logique. L'histoire des trains qui arrivent à l'heure n'intéressent personne. C'est vrai.

D'ailleurs, le soir, les gens regardent des films. S'il n'y a pas des meurtres, des viols et des agressions, ils ne vont pas les regarder, si c'est juste la vie quotidienne normale d'un instituteur de village... Je dis ça parce que ce n'est pas parce qu'on met en avant les pics de tension – et de plus en plus, dans nos sociétés de l'information en continu – que les gens sont de plus en plus inquiets.

Là, il y a des gens qui ont des problèmes de revenus. J'en suis très conscient, avec la hausse des prix liée notamment à la crise ukrainienne. Mais ne mélangeons pas ça avec le fait qu'ils peuvent être heureux quand même. 

Est-ce qu'il y a peut-être une question générationnelle avec l'angoisse climatique que vous avez évoquée, très forte chez les jeunes générations ? Est-ce que ça, ça peut être une source d'inégalités, en quelque sorte, face au bonheur ?  

Surtout s'ils ne peuvent pas se battre, par exemple se battre contre le réchauffement climatique, soit par des convictions politiques, soit par la recherche. Le fait de pouvoir agir est un élément extrêmement important du bonheur. C'est comme le fait de pouvoir travailler, etc.

Être un acteur fait qu'au fond, on augmente son bonheur, parce qu'on a une influence sur la réalité. Ce qui est terrible sur l'Ukraine, c'est qu'on ne peut pas agir. On peut leur donner des armes, on peut les accueillir, etc. mais fondamentalement, on ne peut pas envoyer de soldats et on voit des gens se faire tuer alors qu'on ne peut rien faire, parce qu'il y a la menace nucléaire. Je crois beaucoup à l'action pour donner du sens à une vie. 

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