Le devoir de père : "La famille a tout de même fortement évolué" estime le sociologue Jean Viard

Dans le débat qui s'ouvre sur la notion de devoir de pères, le sociologue Jean Viard rappelle qu'une famille n'est plus associée au modèle ancien du père (l'autorité) et de la mère (le soin). Il faudrait commencer par arrêter de parler d'école "maternelle" pour dire école "de la petite enfance".
Article rédigé par Jules de Kiss - Jean Viard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Même si les parents sont séparés, le seul enjeu pour un enfant est d'évoluer dans un espace de paix domestique. (ERIC AUDRAS
 / MAXPPP)

Est-il souhaitable d'instaurer un devoir de visite des pères dans les familles monoparentales ? L'entretien du chef de l'État au magazine Elle suscite un large débat autour de cette question. Emmanuel Macron y évoque un devoir de visite, de suivi, d'éducation, de poursuite du projet parental au-delà du couple. Le regard du sociologue Jean VIard.

franceinfo : Est-ce à l'Etat de régir l'organisation et la structuration de la famille ?

Jean Viard : Je ne crois pas que les choses fonctionnent comme cela. La famille a profondément changé : 63 % des bébés naissent hors mariage, un tiers des familles sont recomposées. On est dans un tout nouveau modèle familial, en discontinu. On a des aventures sentimentales avant 30 ans. On fait souvent un bébé vers la trentaine, puis survient une nouvelle situation autour de 40 ans, etc. Vouloir nous faire revenir à un moule familial traditionnel – qui rappelle quand même un peu le slogan un papa et une maman –, ça m'a fait un peu sursauter. Ce qui est très important, c'est que l'enfant appartienne à une famille aimante. Celle-ci peut prendre la forme d'un couple homme femme, d'un couple homosexuel, d'une maman seule épaulée par ses propres parents ou ses frères et sœurs. Soyons un peu réalistes sur les pratiques actuelles.

Que pourrait-on dire, alors ?

Pour que l'Etat donne un signal fort, arrêtons de parler d'école "maternelle". On est un des derniers pays à instituer la responsabilité de la mère. Parlons d'école de la petite enfance. On ne va pas revenir à la famille traditionnelle. Il faut effectivement protéger les mères : il y a 1,7 million de femmes seules qui vivent avec des enfants. La moitié du temps de garde est assurée, désormais, par les grands-parents. Ne pourrait-on pas favoriser la proximité géographique des générations ? Et cela vaut dans les deux sens : si vous êtes seule dans un logement social, ayez le droit que vos parents puissent être à côté de vous ; au début, ils gardent vos enfants et ensuite vous leur rendrez visite sur leurs vieux jours. Cette pensée géographique de la solidarité, cette pensée géographique du social, l'État ne l'a pas parce qu'il considère toujours qu'une famille, c'est un papa, une maman et deux enfants dans une voiture quatre places. Il faut sortir de ce modèle.

Des associations de familles saluent l'idée de soulager les mères seules, mais s'interrogent sur le moyen d'obliger un père, qui ne le souhaite pas, à voir sa fille ou son fils. Qu'en est-il de la place du père ?

Elle a profondément évolué parce qu'avant, le père symbolisait l'autorité et la mère symbolisait le soin. Faut-il vouloir retourner aux années 1960 ? L'ambiance actuelle me fait penser à ce qui s'est passé en mai 68, c’est-à-dire une montée de discours traditionalistes, comme si cela pouvait ressouder la société. Accompagnons plutôt les changements, les nouveaux modes de vie. Adaptons-nous à la famille moderne qui est une famille discontinue où il y a énormément d'amour. Il y a plein de maman solo qui sont complètement géniales, il y a beaucoup de couples qui, même s'ils ne vivent plus ensemble, ne placent pas les enfants dans un espace de violence. La paix domestique doit rester la première garantie pour les enfants, et la vraie question est de libérer le désir d'enfant dans la société.

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