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Question de société. "La lutte contre le réchauffement climatique, c'est une lutte pour la diminution de la consommation d'énergie", Jean Viard

Les prix de l'énergie : pourquoi est-ce si important en France, au-delà même de la question du pouvoir d'achat ?  C'est la question de société que nous posons au sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les prix de l'énergie : 60% d'augmentation des tarifs réglementés du gaz depuis le début de l'année : une hausse du prix de l'électricité aussi à venir. Le gouvernement annonce un "bouclier tarifaire".(Illustration) (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

Le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS et écrivain, est sur franceinfo tous les weekends. Presque 60% d'augmentation des tarifs réglementés du gaz depuis le début de l'année : une hausse du prix de l'électricité aussi à venir, au début de l'année prochaine. Les Français ont été plus que surpris par ces hausses successives et le sujet devient politique. Le Premier ministre Jean Castex, à six mois de l'élection présidentielle, est venu présenter des mesures à la télévision, le 30 septembre, ce qu'il appelle la mise en place d'un "bouclier tarifaire". 

franceinfo : Un bouclier tarifaire pour le gaz, pour l'électricité, Jean Viard, aujourd'hui en France, c'est impossible que l'Etat français laisse les prix de l'énergie fluctuer au gré du marché ? 

Jean Viard : Il est clair qu'on ne peut pas laisser se développer une crise sociale après la crise pandémique. L'Italie a mis 3 milliards sur la table, l'Espagne a baissé la TVA, etc. Parce qu'il y a une augmentation du coût de l'énergie qui est en partie due à la stratégie russe, en partie due au fait que tout redémarre en même temps, les entreprises veulent reconstituer les stocks. Donc, forcément, il y a un creux.

Et puis, il y a une partie qui est due au fait que l'énergie dans nos pays va augmenter dans les années qui viennent. Si on veut effectivement modifier notre stratégie de consommation d'énergie pour améliorer le rapport avec le climat, il ne faut pas rêver, l'énergie va augmenter. Et là, il y a une crispation à cause du redémarrage, donc on essaie de "couper la bosse". 

Mais il y a une deuxième question : il y a des milieux sociaux, disons, la moitié supérieure de la société, qui va payer son énergie de plus en plus cher, et un des enjeux, ça va être soit de compenser pour les milieux populaires (c'est ce qu'on a déjà fait, puisqu'ils ont reçu 250 euros, 150 euros plus 100 de chèques énergie) soit aussi isoler le logement, avoir des voitures moins polluantes. Il n'y a pas de secret. La lutte contre le réchauffement climatique, c'est une lutte pour la diminution de la consommation d'énergie. Il faut dire les choses clairement. 

Fiscalité, énergie, ça agite des petits drapeaux maintenant en France. On se souvient évidemment de la taxe carbone, le début du mouvement des Gilets jaunes, c'est une préoccupation politique aussi, à quelques mois de l'élection présidentielle ? 

Oui, mais bien entendu, d'ailleurs, c'est normal. Ce qui est vrai, c'est que l'histoire des Gilets jaunes, elle est différente, même si elle relève d'une chose, c'est une décision politique : on avait à la fois augmenté les contrôles sur les vieilles voitures, c'est-à-dire les voitures des milieux populaires, on avait limité la vitesse à 80 km/h et augmenté le prix de l'essence. Là, c'est différent, parce que c'est pas les politiques qui ont augmenté les prix. Il y a une réaction du marché au redémarrage, et donc les politiques, au contraire, ils se précipitent pour éteindre l'incendie...

L'énergie, c'est aussi un sujet de souveraineté. On importe le pétrole, bien sûr, on importe le gaz. Les tarifs de l'électricité découlent aussi de mécanismes internationaux. C'est un des enjeux de cette question aujourd'hui, la souveraineté énergétique ? 

La souveraineté, oui, puis surtout le fait que l'essentiel de notre énergie électrique est produit par le nucléaire, et qu'on voit bien que la population est de plus en plus favorable au nucléaire. Et surtout, parce que si on veut développer des voitures électriques, etc., on va consommer de plus en plus d'électricité. Si les prix de l'électricité augmentent, ça vous donne pas envie d'acheter une voiture hybride ou une voiture électrique !

Et en même temps, l'électricité en France est beaucoup moins cher qu'ailleurs. En tout cas, on la paye moins cher. Peut être qu'à long terme, on paiera plus cher quand il faudra démanteler les centrales nucléaires, mais pour le moment, on la paye moins cher. Donc, on a un pays à l'électricité bas prix. Mais n'oublions pas que l'électricité est la mobilité du futur. Donc, forcément, il faut en contrôler les prix,

Faire baisser la fiscalité, notamment sur le prix du gaz, c'est un signal tout de même, au moment où on parle de verdir notre économie et nos habitudes de consommation ? 

C'est pour ça que baisser la fiscalité ne peut être qu'une solution à court terme parce que les prix vont augmenter. Il faut le dire, dans les 10 ou 20 ans qui viennent, et une partie de la population, une grande partie va l'assumer ou va modifier ses pratiques de comportement. Le problème, c'est qu'il faut laisser aux gens le temps d'isoler leur maison, changer leur voiture, etc. Mais pour les gens les plus modestes, pour ceux qui sont dans le logement social, etc. Ce n'est pas eux qui vont faire les travaux.

Donc, il faut permettre aux milieux modestes et aux structures comme les structures HLM, de faire le travail d'isolation. Et on est extrêmement en retard pour dire les choses quand même... Ça fait 10 ans qu'on en parle. Et cette année, je crois qu'il y a eu 800 000 primes de rénovation logement. C'est beaucoup. Donc, il va falloir faire du "start and go" pendant 20 ans, que les gens évoluent dans leur utilisation des maisons et des voitures. Et de l'autre côté, qu'on rétablisse un équilibre social. Ça va être un jeu d'équilibre délicat pendant une vingtaine d'années. 

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