Question de société. Pas de ski alpin pour Noël : "Qui pense l'avenir de la montagne à 30 ans ?" s'interroge Jean Viard
Le ski, les sports d'hiver, tout un secteur menacé par la crise sanitaire en cours et par les mesures récentes annoncées par le gouvernement, avec notamment pour le moment, les remontées mécaniques fermées. Le sociologue Jean Viard souhaite que la pandémie puisse nous aider à réfléchir sur l'avenir de nos montagnes.
Tout un secteur économique, celui du ski et des sports d'hiver est menacé par la crise en cours. Le gouvernement maintient toujours ses remontées mécaniques fermées pour le moment, même s'il vient d'accorder une première dérogation pour les écoles de ski. Le parti Les Républicains demande aussi une dérogation pour les habitants locaux pour qu'ils puissent profiter de la montagne. Entretien avec le sociologue Jean Viard sur cette polémique liée à la crise du coronavirus.
franceinfo : Jean Viard, le ski, on en parle beaucoup, surtout quand c'est la saison. Mais peu de Français peuvent en profiter ?
Jean Viard : En fait, ce n'est pas une activité très populaire, ce qui nous fait rêver, en fait, à Noël, c'est la neige. Mais il y en a rarement, y compris d'ailleurs des années où il n'y a pas de neige en montagne. C'est arrivé dans les Pyrénées, c'est arrivé dans les Alpes, sauf les stations qui sont très, très haut. Après, il y a à peu près 8% des Français qui vont à la montagne, dont 2% qui ne se skient pas, qui y vont pour le plaisir des repas, du soleil ou des boîtes de nuit, etc. Donc, ce n'est pas un plaisir majeur, et en plus, je dirais que le ski, s'est beaucoup quasi "professionnalisé". Moi, quand j'étais jeune, on allait skier en jeans, on avait des skis un peu lamentables, on skiait assez mal. Mais depuis, je pense qu'il y a une amélioration de la compétence des skieurs. Ça exclut aussi, j'allais dire les bricoleurs, si on peut dire des choses comme ça.
Donc, il y a toute une évolution, mais au fond, le vrai souci pour moi, c'est l'avenir de la montagne. C'est-à-dire que si les gens ne peuvent pas aller au ski, ils feront autre chose, ils resteront chez eux, ce n'est pas absolument dramatique. En général, ce sont des gens aisés qui sont bien logés. Par contre, la montagne, c'est un vrai souci. C'est-à-dire que dans la montagne, avec le réchauffement climatique, il y a un vrai souci parce qu'il y a des stations qui sont très hautes, celles-là, en gros, leur avenir "blanc" est à peu près assuré. Et puis, il y a les stations de basse montagne, qui souvent ne skient jamais à Noël, ne skient qu'en février, et puis au milieu, il y a toute une frange de stations en grande difficulté.
C'est ça qui fait souci, je pense. Et l'économie de la montagne comme on ne skie pas longtemps dans l'année, est très fragile. Et de l'autre côté, comme on est en train de s'installer plus en plus loin des villes, regardez le Vercors, il y a beaucoup de gens qui sont enseignants à Grenoble et qui habitent sur le Vercors. Donc, je veux dire qu'il y a le développement – et la pandémie et le télétravail l'ont renforcé – d'une concurrence d'usage avec une partie de la montagne qui rentre dans le grand périurbain autour des villes comme Grenoble, comme Chambéry, ces villes de montagne qui se sont beaucoup développées sur l'argument : nous, on a le ski à côté, un peu comme les villes de bord de mer se sont développées sur le thème : on est pas loin de la mer. Donc, il faut mettre tous ces éléments sur la table.
Les sports d'hiver, c'est aussi beaucoup d'emplois, les emplois saisonniers. C'était ce qui était revendiqué dans cette manifestation, hier encore à Chambéry, avec notamment le maire de La Plagne, qui réclamait la réouverture des remontées mécaniques. "Tous les montagnards ont un genou à terre", dit Jean-Luc Boch. Les montagnards, est-ce qu'on peut en faire un groupe sociologique comme cela ?
On pourrait dire quand même que oui, dans la partie la plus haute, si vous voulez là où, en gros, il y a une mono-industrie qui est la neige. Il n'y a pas que le ski, y a le ski de fond, il y a les gens qui font de la montagne, l'alpinisme, etc. Alors il y a de plus en plus de développement dans ces endroits-là, de yoga, de l'activité du corps, etc., ils ont commencé à évoluer.
Mais après, c'est vrai que les montagnards ne sont pas tous nés à la montagne. Il y en a qui ont choisi ce métier, qui sont montés là-haut, mais c'est vrai que eux, ils sont extrêmement fragilisés, comme les cafés restaurateurs, mais en plus fort parce qu'ils ne travaillent pas sur toute l'année. Et en même temps, faut bien voir que nos villes de montagne se développent sur cet argument de la qualité de vie de la montagne depuis déjà 30 ans, comme Grenoble. Donc c'est vrai que les montagnards sont en danger.
Ce qui est très compliqué, c'est que le réchauffement climatique est à moyen terme. Les élus sont élus pour six ans. Les entreprises ont un équilibre économique extrêmement fragile. Au fond, qui pense l'avenir de la montagne à 30 ans ? Et si cette pandémie pouvait nous obliger à réfléchir à ça, je pense que pour l'avenir, ça ne serait pas négatif. Pour le court terme, c'est assez tragique pour beaucoup de gens.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.