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Question de société. "Travaillons à un imaginaire positif, c'est l'imaginaire qui gouverne le réel" : Jean Viard

L'élection présidentielle américaine et la victoire de Joe Biden avec le décryptage du  sociologue Jean Viard. Il nous aide à comprendre ce fait d’actualité. 

Article rédigé par franceinfo - Soizic Bour
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le président élu des Etats-Unis, Joe Biden, après son discours suivant sa victoire à Wilmington, dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis), le 7 novembre 2020.  (ANGELA WEISS / AFP)

franceInfo s'est donc mis toute cette semaine à l'heure américaine pour suivre ces élections présidentielles. La nouvelle est tombée samedi 7 novembre, à 17h24, quatre jours après la fin du scrutin présidentiel. Fin du suspense. C'est Joe Biden qui sera donc le 46e président des Etats-Unis. Pour autant, Donald Trump n'a toujours pas reconnu sa défaite. Il continue de crier à la fraude.

franceinfo : qu'est-ce que cette attitude du 45e président des Etats-Unis, Donald Trump, va laisser comme trace exactement chez ses partisans, mais pas seulement chez ses partisans?  

Jean-Viard : La démocratie est quand même bien abîmée dans cette affaire. Au fond, le monde l'a échappé belle. Il faut se dire une chose, il y a un populisme d'extrême droite qui va de l'Inde à la Turquie, d'Israël à l'extrême droite française, etc. Trump en était le représentant. Il a gagné des voix par rapport à la dernière fois. Donc il faut partout qu'on se dise : ce populisme d'extrême droite, il s'appuie sur quoi ? Il répond à quelle crise ? Parce que là, il avait un leader remarquable. En termes de candidat, c'était un bon candidat. Donc, effectivement, il a poussé ça très fort.

Mais derrière qu’est-ce qu'on voit ?  Il y avait un excellent article dans Le Monde de Jacques Lévy et de son équipe, qui disait une chose qu'on est nombreux à dire dans la recherche, il le montre avec une carte qui est magnifique. C'est qu'au fond, il y a un conflit. Notre société est coupée en deux entre des gens qui sont repliés dans une logique de stock de ce qu'ils ont, qui peuvent être des modestes, des ouvriers, des paysans, des retraités, des gens des campagnes, des gens des petites villes qui marchent plus. Et puis, de l'autre côté, on a effectivement une société de flux de gens branchés, numériques, écolos et tout, en gros, Joe Biden, c’est les métropoles de plus de 2 millions d'habitants. Regardez Washington, 93% du vote.

On est dans une rupture dans toutes nos sociétés, dans un moment où l'on vit une mutation du monde gigantesque, et où on n'a pas de portage politique. Je crois que c'est ça qu'il faut se dire. Donc, quand un leader magnifique, qui sait se battre, qui avance – heureusement que Madame Le Pen n'est pas si bonne - d’une certaine façon, on est dans la situation américaine.

Alors, pensons l’Amérique par rapport à l'Europe et à nous, c'est-à-dire pensons cette mutation des sociétés. Vous savez, Michel de Certeau disait très bien "quand la politique s'effondre, le religieux ou le nationalisme remplace". Il ne peut pas y avoir de vide et c'est là-dessus je crois qu'il faut qu'on réfléchisse. Comment reconstruire un projet politique, si vous voulez où au fond les élites ne gouvernent pas pour elles-mêmes parce que c'est un peu ça, la question.

Joe Biden, il a fait mieux parce qu'il a récupéré une partie des ouvriers, notamment blancs, de ce qu'on appelle la ceinture de la rouille. Mais n'empêche que derrière, on a quand même cette rupture. Au fond, il y a des gens dans nos sociétés qui ont le sentiment de construire leur vie, de construire celle de leurs enfants, d'avancer, de bouger, de sauter, de danser. Ils sont dans la ville. Ils partent en vacances. Ils sont sur Internet. On leur dit : vous êtes en télétravail, ils sont à l'aise.

Et puis, il y en a d'autres, on va dire ce qu'on a appelé le monde du travail jadis, c'est-à-dire, en gros, les ouvriers, les paysans qui ont quitté les métropoles, qui sont souvent dehors, dans des petites villes, dans des vallées industrielles, partout dans nos sociétés, c'est pareil en Angleterre. C'est pareil en Catalogne. Comment arriver à gouverner pour ces deux peuples? C'est ça, la question.

Sous la présidence Trump, les théories du complot ont pris de l'ampleur. On a beaucoup parlé des médias. Quel rôle jouent-ils exactement ?

Mais vous savez, l’imaginaire gouverne les sociétés. Personne n'a jamais vu Dieu, personne n'a jamais vu la nation. Donc, en fait, les idées imaginées sont les plus puissantes. Aujourd'hui, ces idées, je prends Dieu ou la nation, elles remontent pour certains, mais au fond, la théorie du complot, les réseaux Internet, c'est la même chose. Ce sont des inventions des groupes qui parlent entre eux.

Mais n'oublions jamais que c'est l'imaginaire qui gouverne le réel et que donc, quand on n'a pas d'imaginaire du futur, qui sait rendre désirable la France de nos petits-enfants ?  Absolument personne. Et donc les gens, ils se replient dans autre chose. Donc, si vous voulez et travaillons à un imaginaire positif, vous savez, c'est la vieille histoire du chinois qui montre quelque chose avec son doigt. L'Idiot regarde le doigt. Ce qu'il faut regarder, c'est l'absence d'horizon.

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