Réforme des retraites : "C'est très important de protéger ceux qui ont des métiers pénibles et qui ont commencé à travailler tôt", estime Jean Viard
La pénibilité des métiers, un facteur majeur dans la réflexion sur la réforme de la retraite.
Le sociologue Jean Viard se penche avec nous aujourd'hui sur la question de société de la pénibilité d'un métier. Comment définir cette pénibilité au travail et aussi comment a-t-elle évolué au fil du temps ? Une question d'actualité avec la réforme des retraites, bien sûr : la Première ministre, Elisabeth Borne, va présenter le projet du gouvernement mardi 10 janvier, et cette pénibilité a déjà été beaucoup au cœur des échanges, des discussions avec les partenaires sociaux et les partis politiques toute cette semaine.
franceinfo : Sur quels critères peut-on définir la pénibilité ? Parce qu'elle peut prendre des formes très différentes ?
Jean Viard : Oui, d'abord, il faut dire que c'est un enjeu majeur parce qu'il est clair que des gens qui ont commencé à travailler tôt – généralement, les gens qui font les métiers les plus pénibles, y compris les plus physiques, commencent à travailler tôt – donc l'âge de la retraite est pour eux un enjeu majeur, et dans la réforme, quelle qu'elle soit, c'est très important de protéger ceux qui ont des métiers pénibles, et donc, ceux qui ont commencé à travailler tôt.
Après, ce qui est très compliqué, c'est comment on le fait ? Est-ce qu'on le fait par métier en disant : tous les maçons par exemple, ou tous les garagistes ? Est-ce qu'on le fait par contrôle médical, en disant effectivement, à 60 ans par exemple, ou à 58 ans 57 ans, on fait une visite médicale avec un médecin référent qui donne son avis ? Ce n'est pas simple comme question. Les Français sont les gens qui vivent le plus longtemps en Europe, ou quasiment, mais ce sont ceux qui se sentent inaptes le plus tôt. Donc c'est compliqué, parce que les études qu'on a sur le sentiment de handicap, c'est déclaratif. Or, les Français se déclarent inaptes beaucoup plus tôt que tout le monde, avant 60 ans.
Mais la question, c'est : est-ce que c'est le rapport au travail qui fait qu'on n'a plus envie de travailler, ou est-ce qu'on est nul en matière de prévention médicale et de prévention dans les entreprises ? Un petit détail : un jour, j'étais dans un supermarché, les caissières changeaient toutes les 20 minutes de caisse, parce que comme ça, tantôt elles travaillaient avec le bras droit, tantôt avec le bras gauche, ça a l'air idiot, mais quand vous faites ça pendant 30 ans, c'est une petite astuce pour ne pas fatiguer... En France, on n'a pas été très attentifs.
Mais je pense aussi qu'il y a un rapport au travail qui fait qu'on a un sentiment de pénibilité particulièrement fort. Mais ceci dit, c'est un enjeu majeur de la retraite, parce que les gens qui ont fait des études supérieures, en gros, dans les postes les plus favorisés, quand ils ont fait leurs années de cotisations, ils arrivent déjà à 65 ans, vu qu'ils commencent à travailler vers 26-27 ans de manière stable. Et ce sont ceux qui ont commencé à 20 ans qui sont au cœur du grand débat dans nos sociétés. Et qui juge la pénibilité ? C'est une question très compliquée.
Est-ce qu'on peut dire que le monde du travail est de moins en moins pénible globalement ?
Moi, je crois qu'on peut le dire. Moi qui ai travaillé sur les chantiers quand j'avais 13/14 ans, je vous assure qu'un sac de ciment sur l'épaule, c'était lourd. Aujourd'hui, on a un manitou. Bien sûr qu'on a de plus en plus de robots, on a de plus en plus de machines automatiques, même une usine, aujourd'hui, ressemble plutôt à un laboratoire, qu'au Billancourt de mon enfance.
Après, il se peut aussi qu'il y ait de nouvelles pénibilités, parce qu'il y a le stress, qui peut jouer, il y a des questions de bruit. C'est pour ça que je pense que la pénibilité en force est plus faible, encore que, un cuisinier dans une cuisine de restaurant, il est toujours autant cuit que sa côtelette. Donc ça, ça ne va pas changer. Mais je crois que l'automatisation a beaucoup changé.
Et vous savez, le pays au monde qui est le plus automatisé, c'est le Japon, parce que les vieux y travaillent très tard, au-delà de 70 ans, très couramment. Mais parce qu'il y a très peu d'enfants, donc ils ont des machines pour tout, pour justement pouvoir utiliser un corps qui n'est plus dans le meilleur état, beaucoup plus longtemps.
Donc la pénibilité du travail, des cols bleus, des cols blancs, ça peut être un vrai débat dans le débat, sur la réforme des retraites. Chacun va vouloir dire ben oui, mon métier est pénible ?
Oui, mais c'est toute la question de savoir si on s'appuie sur du déclaratif où là, au fond, ce qu'on mesure, c'est un rapport au travail. On voit bien que nous, on a un problème assez particulier, y compris parce que la réduction du temps de travail est le rêve populaire depuis la guerre. Le rêve de la retraite à 60 ans, c'est un enjeu de société absolument majeur. Mais après, il y a presque six ans et trois mois d'écart de vie moyen, entre un cadre et un ouvrier masculin.
Donc, la vraie question pour moi, c'est comment on fait pour que tout le monde ait la même espérance de vie. Comment les conditions de travail, la prévention, la durée du travail, tout au long de la vie, parce qu'il n'y a pas de raison qu'un type qui est allé à la fac, ait six ans d'espérance de vie de plus qu'un type qui n'y est pas allé.
Le sociologue Jean Viard, invité de franceinfo tous les week-ends.
Un juste regard, son dernier livre est paru aux Éditions de l'Aube.
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