Cet article date de plus de deux ans.

Tourisme de masse et pollution : "Il faut diffuser les usages, savoir ce que cherchent les touristes et leur proposer un certain nombre de réponses", estime Jean Viard

Les paquebots de croisière se remettent à sillonner les mers autant qu'avant la crise sanitaire. On le voit notamment avec le port de Marseille, qui doit accueillir cette année plus de 500 escales et des centaines de milliers de passagers.

Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
3 avril 2022. Le liner Costa Toscana quitte le port de Marseille. Manifestation aujourd'hui à Marseille contre la pollution générée par ce tourisme de masse. (Illustration) (SOPA IMAGES / LIGHTROCKET VIA GETTY IMAGES)

Avant la pandémie de 2020, on atteignait quelque deux millions de croisiéristes par an dans la cité phocéenne, ce qui est bon pour l'économie, bien sûr. Mais des habitants de Marseille y voient aussi de très mauvais côtés. Et ils entendent le dénoncer une nouvelle fois aujourd'hui en début d'après-midi, lors d'un rassemblement sur une place de la ville. C'est la "question de société" du jour avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, un grand connaisseur de Marseille et spécialiste du tourisme aussi.

franceinfo : Manifestation tout à l'heure pour deux raisons principales : la pollution générée par ses grands paquebots, mais aussi le tourisme de masse qu'il génère et ses conséquences sur la ville...

Jean Viard : La pollution de ces gros bateaux, surtout quand ils sont à l'arrêt, est un problème énorme, et c'est pour ça qu'il y a une politique d'électrification des quais pour que ces bateaux, quand ils sont à l'arrêt avec leur moteur – parce qu'ils font tourner le moteur évidemment pour la clim et l'électricité   donc ça, ça avance et c'est en train de se changer. C'est une politique essentiellement de la région et du port.

Au delà de ça, il y a d'une part le fait que, en mer, ces gros bateaux, tous les bateaux en mer sont très polluants et que, comme il y a les eaux internationales, effectivement, il n'y a pas de règles. Donc ces bateaux utilisent des trucs à brûler, qui sont monstrueux, comme si la terre n'était pas une totalité, comme si loin des côtes, on peut polluer comme on veut. Non, ça retombe toujours quelque part, donc ça, c'est un vrai sujet, même si à l'intérieur des ports, je crois qu'on est vraiment en train de résoudre la question.

Après une deuxième question, c'est la question du tourisme de grande quantité, ce tourisme populaire de masse qui, effectivement, s'est énormément développé. Moi, j'ai beaucoup défendu les croisières à Marseille, quand j'étais élu local et je pense que ça a largement contribué à transformer l'image de la ville. Ce qui est compliqué dans le tourisme, c'est qu'il y a les bateaux qui arrivent, mais ces gens qui sont sur les bateaux, quand ils sont en mer, ils ne gênent personne. Mais effectivement, il y a des escales. Moi, je respecte ça. Il y a des touristes différents à qui il faut proposer des choses différentes.

Il y a des gens qui viennent en croisière, qui viennent passer une demi-journée à Marseille et effectivement, il faut qu'ils aillent sur le Vieux-Port et qu'ils fassent des courses. Soyons honnêtes, on espère qu'ils vont chacun dépenser 50 euros pour être aussi dans cette perspective. Il y a d'autres touristes qui viennent pour faire un congrès pendant trois jours. Il faut les amener à un autre endroit. Il y a des gens qui sont en Provence qui viennent passer une journée à Marseille. Il faut les orienter dans d'autres destinations. C'est ce qu'a fait Barcelone avec un certain succès. C'est-à-dire diffuser les usages, connaître les touristes, savoir ce qu'ils cherchent et leur proposer un certain nombre de réponses.

Et je crois qu'il faut faire attention : on est dans un monde, où il y a tout le temps des gens qui veulent rejeter les autres : les immigrés, les croisiéristes... Ça dépend un peu des couleurs politiques. Moi, j'ai tendance à dire d'abord : soyons accueillants ! D'abord formons humanité, ce qui est quand même le cas central du voyage. Et après, évidemment, mettre en place une politique touristique et des régulations, bien entendu. 

Avec les garde- fous que vous citiez pour limiter les nuisances liées à l'écologie...

Bien sûr !

Vous avez cité le chiffre de 50 euros. C'est un chiffre mis en avant, notamment par la Chambre de commerce et d'industrie, qui dit que chaque croisiériste, quand il descend du bateau – parce que tous ne descendent pas  –  dépense 50 euros en moyenne lors de son passage. Mais ce chiffre est contesté par les manifestants du jour.

Ça pose une question intéressante quand même : est-ce qu'une ville, ici  Marseille, mais on peut parler de toutes les villes et tous les lieux touristiques de France, perdent de leur identité ou les habitants sont-ils dépossédés de leur ville parce que beaucoup de touristes arrivent. Et là, on sait que le tourisme reprend, donc c'est une question d'actualité après la pandémie ?

Mais bien entendu, il y avait un milliard et demi de touristes internationaux avant la pandémie et il y avait 60 millions de touristes internationaux en 1968. C'est une explosion et on va très vite être à deux ou trois milliards de touristes. Donc c'est une activité centrale de l'économie monde, mais c'est le propre du tourisme.

Le tourisme, c'est une foule immense qui est à la fois curieuse, consommatrice, régulée. Elle est à la fois envahissante, en même temps elle fournit du travail. Alors, est-ce que ça transforme les territoires ? Quelque part, oui, mais ça les transforme parce que ce que les gens cherchent, c'est du typique. Ils veulent une ville typique, à la limite, ce qu'ils ne veulent pas, c'est que ça change. 

Le tourisme au fond est un conservateur. Si vous retournez à Rome, vous y êtes déjà allé. Vous n'avez pas envie qu'on ait changé la ville historique. Et donc le tourisme, il fixe le patrimoine, il fixe le territoire. En ce sens-là, il influence. 

Consultez lamétéo
avec
voir les prévisions

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.