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Travail des saisonniers : "Le métier a perdu sa noblesse de l'après-guerre, cela modifie l'attractivité. Il faut qu'on réfléchisse à la protection sociale des non-salariés"

Les vacances de Noël ont commencé ce weekend, notamment les sports d'hiver, qui restent d'ailleurs réservés à une minorité de Français, moins d'un sur dix part dans les stations de ski régulièrement. Et c'est aussi le début d'une période intense de travail pour les saisonniers. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des saisonniers à Collioure dans les Pyrénées-Orientales. (Illustration) (ALINE MORCILLO / HANS LUCAS / AFP)

Alors que les vacances de Noël viennent de commencer ce weekend, c'est aussi le début d'une période intense de travail pour les saisonniers. Un emploi qui a beaucoup changé au cours des dernières années. Des saisonniers qui étaient environ un million chaque année, à vivre l'été à la plage, et y travailler. Et puis, faire la même chose l'hiver, dans les stations de ski.

Si on veut un peu simplifier le schéma, ils sont de moins en moins nombreux. Beaucoup ont changé de mode de vie ces derniers mois, si bien que les stations de ski aujourd'hui manquent de bras. Il reste des milliers de postes à pourvoir. Comment expliquer cela ? On en parle avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS.

franceinfo : Comment expliquer qu'après l'arrêt brutal de la saison de sports d'hiver en 2020, beaucoup de saisonniers ont décidé de ne pas reprendre ?

Jean Viard : D'abord, il faut dire que c'est un phénomène qui est général dans les bars et les restaurants, et dans les stations touristiques, parce que ce sont des populations de travailleurs qui sont très mal payés, qui travaillent le soir et le weekend et qui n'ont pas d'indemnités, et une grosse partie d'entre eux sont payés au SMIC. Ils viennent de négocier 5% au-dessus du SMIC ; pour un travail de longue période, ça ne va pas très loin, donc c'est un monde mal payé. Faut pas se cacher derrière son petit doigt, c'est d'ailleurs pour ça qu'il y a beaucoup d'immigrés et beaucoup de jeunes.

Moi, quand j'étais jeune, dans les années 60/70, il y avait des espèces de seigneurs. Il y avait ceux qui faisaient Saint-Tropez l'été, puis ils montaient à Serre-Chevalier, c'étaient les saisonniers des grandes stations. Il faisait moitié mer et moitié montagne. C'était un peu "l'imaginaire Club Med", ils étaient bronzés,ils séduisaient les dames, ou les dames les séduisaient les messieurs. En allant travailler là, où on pouvait, à la fois, aller à la mer l'été, et aller au ski l'hiver. Et en fait, en étant rémunéré, alors que les autres payaient pour être là, c'est un peu ça.

Et puis ça s'est déplacé. Le problème qui est compliqué dans les saisonniers, notamment dans les stations de montagne, c'est que comme on loue tout ce qu'on peut, puisqu'en fait ça vit de la location, les stations, c'est sûr que si vous libérez des chambres pour les saisonniers, c'est des chambres qui ne rapportent rien.

Du coup, les saisonniers, on les entassés, on les a mis dans la cave, dans les coins où n'y a pas de lumière. D'ailleurs, il y avait eu une grande opération d'Anicet Le Pors, un ancien ministre de 81, parce qu'il y avait énormément de sida, donc je pense qu'avec le Covid c'est la même chose, donc, le métier a perdu, si je peux dire, sa noblesse de l'après-guerre, pour devenir un peu un métier de tâcherons. Et donc, évidemment, cela modifie l'attractivité.

Et la récente réforme de l'assurance-chômage a aussi pénalisé fortement les saisonniers. Ce qu'Emmanuel Macron, le président de la République assume :

"Le système était devenu hypocrite, a-t-il dit, en soulevant en particulier le cas des saisonniers. Il y a certains de nos compatriotes qui se disent : ça ne vaut pas la peine que j'aille travailler, et donc c'est pour ça que nous avons mis en place cette réforme de l'assurance-chômage. Et c'est pour ça, par exemple, qu'on a dit : Il faut avoir travaillé six mois, et plus quatre mois, pour avoir droit au chômage..."

Travailler six mois et non plus quatre pour avoir le droit au chômage, voilà qui change la donne pour les saisonniers. Est-ce que cela témoigne aussi d'une forme d'incompris, le fait que le mode de vie saisonnier n'est pas forcément bien accepté aujourd'hui en France ?

Jean  Viard : Il y avait des espèces d'arrangements, effectivement – on fait un contrat court, puis je te licencies, t'es au chômage, tu reviens travailler, et en gros je te paye à mi-temps et tu es payé à plein temps – donc, il y avait de ces processus-là, et il ne faut pas se cacher qu'on est dans une période de sortie du chômage de masse, et donc effectivement, il faut que la machine se remette en route. C'était la même chose quand on avait dû sortir de l'inflation.

De l'autre côté, la société est pensée sur le modèle de la société salariale et en fait, il y a beaucoup de gens, notamment des jeunes, qui, au fond, sont assez en appétit, si on peut dire, d'un rapport non-salarial, avec les problèmes du coût de protection sociale pour le chômage, la maladie et la retraite. C'est d'ailleurs aussi le cas avec les auto-entrepreneurs, le type d'Uber, etc. Parce qu'effectivement, ils n'ont pas notamment la retraite ou dans des conditions très, très limitées. On est là dans un basculement.

Et je regardais l'autre jour aux États-Unis, il y a 20% des gens qui étaient au télétravail aux États-Unis pendant la pandémie, qui ont disparu parce qu'ils se sont installés en indépendants. Donc il y a une explosion des indépendants. On voit ça en France aussi, l'explosion des petites épiceries, des librairies et des commerces. Il y a plein de gens qui se disent après tout, on a été bien, pas de patron sur le dos, ben on va tenter notre chance, même si on gagne un peu moins bien dans un endroit plus sympa que la grande ville.

Et tous ces mouvements qui sont devant nous, je crois qu'il faut les regarder tous dans leur complexité et il faut qu'on réfléchisse à la protection sociale des non-salariés. Il y a là un chantier extrêmement important pour l'avenir de ces nouvelles populations.

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