Cet article date de plus de trois ans.

Regard sur l'info. Un autre regard sur l’immigration

Comme chaque semaine, Thomas Snégaroff reçoit l’auteur d’un livre, d’un film, d’une série ; d’un travail qui éclaire l’actualité. Cette semaine : réflexion autour de la manière dont les questions migratoires sont regardées et traitées.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"...Je me dis que c’est une terrible réduction que de devoir nous abaisser à débusquer les discours de l’extrême droite. Ce livre est, en quelque sorte, un livre de combat..." François Gemenne (EDITIONS FAYARD)

François Gémenne est chercheur, spécialiste des migrations et de l’environnement. Il publie, chez Fayard, On a tous un ami noir, pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations. Un livre paru le 30 septembre dernier.  

Thomas Snégaroff : Avant de vous entendre,je voudrais rappeler les récents propos d’Eric Zemmour sur CNEWS.
Il dit : "Il faut renverser la table. C’est-à-dire qu’il faut que ces jeunes [issus de l’immigration], comme le reste de l’immigration ne viennent plus. Parce qu’ils n’ont rien à faire ici ! Je vous le répète : ils sont voleurs, assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont !" 
Ces propos ont beaucoup choqué. Et je crois que ce sont ce genre de propos qui vous ont donné envie d’écrire votre livre.  

François Gémenne : Oui. Je suis frappé d’entendre ce type de propos. Des propos que nous condamnons tous, mais qui, pourtant, continuent quand même à structurer le débat public. La preuve est que nous les entendons encore aujourd’hui pour, évidemment, les condamner. 

Malgré tout, ce sont des propos qui s’insinuent dans l’opinion et qui, quelque part, marque une petite victoire culturelle de l’extrême droite. Une bataille des idées en imposant dans le débat public une série de termes comme ceux-là, par exemple, : "l’ensauvagement" ou "l’appel d’air". Des termes très utilisés, y compris par des membres du gouvernement. Voilà pour les éléments de langage. Il y a les concepts aussi. Des concepts sur lesquels s’appuient nos politiques d’asile et d’immigration. On y reviendra, j’imagine.  

Ce qui est intéressant dans votre livre : c’est que vous refusez les "polémiques stériles" (c’est ainsi que vous les appelez) entre les anti-immigration et les pro-immigration. Vous dites que cela n’a pas de sens.

C’est-à-dire que, très souvent, je suis invité dans des débats, par les médias. Je suis invité à débattre autour de question telle que : "Pour ou contre l’immigration ?". Et je me rends compte que, au fur et à mesure, on ne prend même plus la peine de remettre en compte la légitimité de ces questions. En temps que chercheur, on se trouve très souvent à être réduit à débusquer des rumeurs ou à devoir contredire des mensonges, rétablir la vérité, faire la part des choses et le vrai du faux. 

Et je me dis que c’est une terrible réduction que de devoir nous abaisser à débusquer les discours de l’extrême droite. Ce livre est, en quelque sorte, un livre de combat pour essayer de reposer le terme du débat public et montrer que ces polémiques, qui jalonnent le débat public, sont souvent inventées sur le dos des migrants ou des réfugiés. Et qu’il est possible de penser les choses de façon plus rationnelles et plus pragmatiques.    

"Rationnel", "pragmatique", ce sont des termes qui me sont venus à l’esprit parce que vous refusez le dogmatisme. Vous écrivez : "Il est vain d’empêcher le jour de succéder à la nuit, c’est aussi vain d’essayer de se dire si c’est bien ou si c’est mal que de migrer."   

Exactement. On n’a pas véritablement intégré le fait que l’immigration était une transformation structurelle de nos sociétés qui présente un certain nombre d’avantages et d’opportunités mais également un certain nombre de risques et de dangers. Et on continue à faire comme si l’immigration était une sorte d’anomalie politique, un problème conjoncturel dont il faudrait se débarrasser. Cela nous empêche de penser véritablement une politique d’asile et d’immigration.  

Mais vous ne vous dites pas aussi qu’il y a des questions qui se posent avec l’immigration ? Vous n’avez pas peur qu’on vous reproche de botter en touche. Comme si vous disiez : "C’est comme ça depuis toujours, donc il n’y pas spécialement de problème spécifique à la période que nous vivons !" 

Mais bien sûr qu’il y a des enjeux et des problèmes spécifiques. J’essaye vraiment, dans le livre, de ne pas évacuer un certain nombre de questions. J’essaye de tout aborder. Je dis que ces questions sont souvent mal posées et que nous avons, en quelque sorte, capitulé face à des cadres de pensée imposés par l’extrême droite.

Quand Laurent Fabius, en 1984, dit : "L’extrême droite pose les bonnes questions, mais apporte les mauvaises réponses", il signe l’acte de capitulation des démocrates face à l’extrême droite. L’extrême droite qui, depuis, pose ses questions, et c’est comme ça qu’on en arrive à un sujet qui devient pourri, toxique, et qui génère des crises humanitaires et des tensions politiques.    

Les idées reçues sont battues en brèche. Vous dites : "On dit souvent que les migrants coûtent cher à la société mais peut-être coûteraient-ils moins cher s’il y avait moins de discrimination."    

"Intégrer" est toujours conçu comme un verbe réflexif. C’est aux nouveaux venus de s’intégrer. On ne se demande jamais ce que la société peut faire pour intégrer les nouveaux arrivants. Pour que ce verbe soit transitif. Et le résultat est que ceux qui cherchent à s’intégrer se heurtent généralement à un mur de discrimination qui parfois va générer de l’incompréhension et du ressentiment vis-à-vis de ceux qui ont le sentiment d’avoir fait des efforts, ceux qui ont le sentiment que la société ne veut pas d’eux mais veut se séparer d’eux.  

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