Espagne : affrontements dans les rues et controverse politique après l'arrestation d'un rappeur
Le pays vient de connaître deux nuits consécutives d'incidents et le débat politique est relancé sur la liberté d'expression.
En Espagne, l'affaire fait les gros titres de toute la presse, jeudi 18 février : plusieurs villes ont connu des rassemblements et des accrochages pour la deuxième nuit consécutive. Des milliers de jeunes sont descendus dans la rue dans les centres-villes de Madrid, Barcelone, Gijon, Tarragone, Valence, Reus etc. Ils ont renversé des poubelles, érigé des embryons de barricades, lancé des projectiles sur la police, qui a répliqué avec des balles en caoutchouc. Plus de 40 personnes ont été arrêtées et au moins autant ont été blessées, dont une jeune femme, qui a perdu un œil : son image circule sur tous les réseaux sociaux.
— Pablo Echenique (@PabloEchenique) February 18, 2021
Les manifestants se sont rassemblés spontanément pour la première fois mardi 16 février au soir, aux cris de "Assez la censure", "Stop à l’État fasciste". Le tout après l’arrestation d’un rappeur catalan. Pablo Hasel, c’est son nom, a été interpellé après s’être littéralement retranché dans l’université de Lerida. Il refusait de se rendre en prison, malgré sa condamnation à neuf mois d’incarcération.
Que lui reproche la justice espagnole ? Une série de tweets accusant les forces de l’ordre de torture et d’assassinat, et les traitant de "mercenaires de merde". Et aussi une chanson qualifiant le roi Juan Carlos de "poubelle mafieuse". Juan Carlos, dont il faut rappeler qu’il est mis en cause dans plusieurs scandales financiers.
Vers une réforme du Code pénal
La polémique gagne désormais le terrain politique et embarrasse le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez. Il est pris entre deux feux. D’un côté, il y a bien une décision de justice qui condamne le rappeur. Pablo Hasel, souligne la droite espagnole, n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà été condamné en 2014 pour avoir fait l’apologie de l’organisation séparatiste basque ETA. La vice-présidente du gouvernement, Carmen Calvo, invitée jeudi 18 février de la station de radio Cadena Ser, a donc affirmé que rien ne se résoudrait par la violence.
De l’autre côté, il y a le parti de gauche Podemos, allié du gouvernement Sanchez. Podemos se dit solidaire des manifestants, "des antifascistes qui défendent la liberté d’expression". Pour Podemos, cette affaire est révélatrice : "l’Espagne n’est pas une pleine démocratie". Plusieurs artistes ont également pris fait et cause pour le rappeur : notamment le cinéaste Pedro Almodovar ou le comédien Javier Bardem, qui dénoncent l’impossibilité en Espagne de critiquer les institutions de l’État.
Toute cette affaire empoisonne le gouvernement et elle pourrait même conduire à une réforme du Code pénal. Le gouvernement espère s’en sortir en modifiant la loi, en limitant les condamnations pénales aux conduites ou aux propos qui incitent explicitement à la violence ou qui comportent un risque réel pour l’ordre public. Il s’agirait donc à l’inverse de protéger la libre expression des artistes ou des intellectuels. Cela irait dans le sens de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a déjà critiqué l’Espagne sur le sujet. En attendant, à court terme, il est fort possible que de nouvelles manifestations se déclenchent dans les rues.
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