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François Gemenne : "En écologie, la solution parfaite n'existe pas !"

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 4 novembre : la solution parfaite contre le changement climatique.
Article rédigé par franceinfo - François Gemmene
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Le parc éolien des Trois Cantons dans le région de Montbéliard en Bourgogne-Franche-Comté (LIONEL VADAM / MAXPPP)

Alors que des solutions contre le changement climatique existent, certaines voix trouvent toujours un défaut à ces dernières au nom d'une éthique. François Gemenne nous explique justement les différences entre ces éthiques.

franceinfo : Cette semaine, François, vous nous dites que la solution parfaite n'existe pas !

François Gemenne : Disons que je suis assez stupéfait, de notre propension à critiquer les progrès que nous faisons. C’est comme si aucune solution ne pouvait trouver grâce. Les éoliennes gâchent les paysages, les panneaux solaires utilisent des terres rares, les voitures électriques possèdent une batterie fabriquée avec des métaux critiques, les substituts à la viande ressemblent trop à la viande et pas assez à des lentilles, etc. etc. Sincèrement, je suis un peu fatigué de ces critiques permanentes contre tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à une solution.

Pourtant il y a du vrai dans ces critiques, quand on voit par exemple, comment sont extraits les métaux critiques et les terres rares ?

Évidemment, il y a plein de choses à améliorer. Mais il faut aussi voir d’où l’on part, les progrès réalisés, et surtout il faut regarder le point de comparaison. Malgré leurs défauts, une voiture électrique est infiniment préférable à une voiture thermique, et un parc éolien infiniment préférable à une centrale à charbon. Le problème, c’est que nous recherchons une solution parfaite, et que cette solution parfaite, eh bien, elle n’existe pas. Dès que l'on veut produire de l’énergie, dès que l'on veut transporter des gens, il y a toujours une empreinte environnementale. L’enjeu, c’est de la réduire au maximum. Si on s’échine à vouloir trouver une solution parfaite, on se condamne à ne rien faire du tout.

Est-ce qu’on peut vraiment compter sur la technologie pour régler le problème ?

Ici on arrive au cœur du débat : parfois on ne discute même plus des défauts de telle ou telle technologie, mais de la technologie tout court, entre ceux qui misent sur le progrès technologique et ceux qui voient celui-ci comme un prétexte pour éviter de questionner l’organisation de l’économie et nos logiques de consommation. Le problème, est que nous avons toujours tendance à opposer les deux, dans un débat qui devient de plus en plus polarisé. Alors que nous aurons besoin des deux, nous n’avons plus le luxe de choisir ! Nous aurons besoin de technologie et de changements politiques et sociaux. Arrêtons de penser que l’un exclut nécessairement l’autre ! Pour la voiture, par exemple, nous aurons besoin de revoir notre rapport à la voiture individuelle, mais aussi de conduire des voitures moins polluantes.

Pourquoi est-ce que le débat est à ce point polarisé ?

Il existe une opposition entre une éthique de responsabilité et une éthique de conviction. L’éthique de responsabilité va conduire à soutenir toute solution qui nous permette de nous rapprocher du but, c’est-à-dire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. L’éthique de conviction, par contre, va avoir une vision précise de l’idéal à atteindre, et va rejeter toute solution qui ne correspond pas à cet idéal, quitte à être parfois inflexible. Sur l’aviation, par exemple, l’éthique de responsabilité va travailler à optimiser les trajectoires des avions, à chercher des carburants alternatifs, etc. L’éthique de conviction va souvent militer contre ces solutions, en arguant que l’objectif c’est de réduire le nombre de vols, pas de réduire les émissions des vols existants.

Est-ce que les deux approches peuvent se défendre ?

En principe, oui. Les deux sont évidemment respectables. Mais je vois deux problèmes avec l’éthique de conviction, dans le cas du changement climatique. Le premier problème, c’est évidemment le temps : si on rejette toutes les solutions dans l’espoir d’atteindre une solution idéale, on risque souvent d’attendre longtemps. Et les impacts du changement climatique sont déjà là, il y a une véritable urgence à agir et à déployer toutes les solutions qui existent, le plus vite possible. Parce que ce purisme a déjà des conséquences : aujourd’hui, il y a de nombreuses entreprises qui pratiquent déjà le green hushing, par exemple.

Qu'est-ce que le green hushing ?

C’est l’inverse du green washing. Le green washing consiste à exagérer son engagement en matière d’écologie, dans l’espoir de cacher des pratiques peu recommandables. Le green hushing consiste précisément à ne pas communiquer sur ses engagements ou les solutions qu’on déploie, de peur d’être accusé de ne pas en faire assez, ou de ne pas être assez parfait. Or, ces solutions ont besoin d’être connues, pour qu’elles puissent se diffuser !

Quel est l'autre problème avec l'éthique de conviction ? Vous disiez qu'il y avait deux problèmes : le temps et ?

C'est le fait que l’idéal, parfois, dépasse la lutte contre le changement climatique : la fin du capitalisme, ou la lutte des classes, par exemple. Ce qui conduit parfois les tenants de l’éthique de conviction, qui visent un idéal futur, à mépriser toutes les initiatives qui visent aujourd’hui à améliorer les choses. Vous aurez sûrement déjà entendu cette petite phrase un peu méprisante et simpliste dans la bouche de plusieurs responsables politiques, par exemple : "l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage".

Ce leitmotiv revient surtout dans la bouche de ceux qui sont contents d’attendre le grand soir sans trop mettre les mains dans le cambouis. Le problème de cette vision idéologique de la lutte contre le changement climatique, je crois, c’est qu’elle conduit forcément une partie de la population à se détourner de la lutte contre le changement climatique : par nature, l’idéologie cherche à faire triompher une vision du monde contre une autre. Et pour le climat, on va avoir besoin de tout le monde.

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