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Roland-Garros 2021 : quelles raisons empêchent (vraiment) les femmes de jouer les matchs en cinq sets ?

Les femmes disputent les tournois du Grand Chelem en deux sets gagnants, contre trois pour leurs homologues masculins. Une différence dont les raisons interrogent.

Article rédigé par Célia Sommer, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (NICOL KNIGHTMAN / NICOL KNIGHTMAN)

"Cinq sets pour une femme ? (…) Physiquement parlant, une femme ne peut pas le faire. Elle n’a pas les mêmes capacités physiques que les hommes. Ce n’est pas possible humainement. C’est tout. Vous ne pouvez pas demander à une femme de jouer six heures", déclarait à BBC World l’ancienne joueuse française Marion Bartoli, en 2014.

Pourtant, il est déjà arrivé dans l’histoire du tennis que des femmes disputent des rencontres en trois sets gagnants. Entre 1984 et 1998, la finale du Masters dames se jouait en cinq manches, à l’instar de celle des hommes. Le 18 novembre 1990, ce schéma a donné lieu à un match mythique d’une durée de 3h47, opposant Monica Seles à Gabriela Sabatini (6-4, 5-7, 3-6, 6-4, 6-2). Il n’y avait alors plus eu de match en cinq sets chez les femmes depuis 89 ans. Dans la configuration actuelle, Sabatini en serait ressortie vainqueur, 4-6, 7-5, 6-3. Et l’histoire n’aurait pas été la même.

L'aptitude physique, une fausse justification

Alors, les femmes sont-elles physiquement capables de disputer des rencontres en cinq sets ? Paul Quétin, préparateur physique des équipes de France à la Fédération Française de Tennis, n’y voit aucun obstacle d’un point de vue physiologique : "Elles ont une capacité d’adaptation qui devrait leur permettre de jouer en trois sets gagnants. Personnellement, je n’y suis pas opposé".

En revanche, il insiste : ce changement de règles ne pourrait pas intervenir du jour au lendemain et nécessiterait de laisser un certain temps pour effectuer la transition. "Il faudrait accorder aux joueuses une période d’adaptation suffisamment longue pour qu’elles puissent se préparer en conséquence et que les entraîneurs ajustent leurs entraînements. Jouer en cinq sets modifierait complètement l’approche physique et tactique", explique le préparateur physique.

Jouer en cinq sets obligerait peut-être les joueuses à être plus athlétiques et à élever leur niveau.

Justine Henin

Franceinfo

Justine Henin, ancienne n°1 mondiale, assure qu’elle aurait adoré durant sa carrière pouvoir disputer des rencontres en cinq sets. "J’étais une joueuse plutôt physique et je trouve que, sur la longueur, la dimension mentale est intéressante. Jouer en cinq sets obligerait peut-être les joueuses à être plus athlétiques et à élever leur niveau", argumente la Belge.

Le casse-tête de la programmation

Outre l'aspect physique, un autre argument a été mis en avant par les organisateurs des tournois pour justifier cette différence : le casse-tête de la programmation. En réalité, les intérêts médiatiques et économiques pèsent énormément.

En 2019, à l'occasion de la Coupe du monde féminine de football, Ségolène Royal s'était attaquée aux principes du tournoi de Roland-Garros sur Yahoo : "Roland-Garros, c'est un scandale ! Les femmes, c'est en trois sets, les hommes, c'est en cinq sets. Depuis des années, on dit : 'Mais pourquoi les femmes jouent en trois sets ?' 'Parce que ça n'intéresse pas. Il ne faut pas occuper trop d'antenne, ce n'est pas intéressant'. Donc on est dans un sous-modèle homme-femme par rapport au tennis. C'est quand même extravagant."

En 2013, l'ancienne présidente de la WTA, Stacey Allaster, ne s'en cachait pas. "La programmation dans les tournois du Grand Chelem est déjà un défi avec les matchs [des hommes] en cinq sets. Nous pensons que les matchs en trois sets conviennnent bien à nos supporters", déclarait-elle.

Jouer plus pour attirer plus ?

Une autre question se pose : des rencontres en trois sets gagnants susciteraient-elles davantage l’appétence des spectateurs à l’égard du tableau féminin, en réhaussant le suspense ? En 2020, la finale opposant Rafael Nadal à Novak Djokovic (6-0, 6-2, 7-5) avait rassemblé en moyenne 3,77 millions de téléspectateurs. À titre de comparaison, la finale femmes (Iga Swiatek-Sofia Kenin, 6-4, 6-1) en avait réuni moins de la moitié (1,8 million).

"Lorsqu’il y a une bagarre, cela a de l’intérêt. Mais on assiste aussi à des matchs dans le tableau masculin qui n’ont aucun intérêt en trois sets. Lorsque Nadal explose ses adversaires en début du tournoi, on s’arrêterait bien après deux sets. Je pense qu’avant tout, ce qui attire le public est la qualité du jeu", fait remarquer Justine Henin.

"Le tennis a surtout besoin de joueuses charismatiques, qu’il y ait un vrai duel comme c’est le cas chez les hommes avec Nadal, Djokovic et Federer. Si l’on a deux ou trois filles qui sortent du lot, les gens vont peut-être accrocher un peu plus. Après, je ne sais pas si le schéma en cinq sets changerait cela", complète Paul Quétin.

Lorsque la tension et l’enjeu sont élevés, il peut être très dur de rentrer dans son match.

Justine Henin

Franceinfo

Afin d’offrir davantage de spectacle et d’attribuer une plus grande valeur au trophée, Paul Quétin évoque la possibilité de disputer, dans un premier temps, uniquement les finales des Grands Chelems en trois sets gagnants : "Lorsqu’on voit des finales expédiées en deux manches, comme ce fut le cas à Rome cette année avec Iga Swiatek (6-0, 6-0), c’est un peu frustrant, aussi bien pour les organisateurs que pour les spectateurs ayant acheté leurs billets ou ceux devant leur télévision. Un format plus long pourrait être plus intéressant".

Un point de vue partagé par Justine Henin : "Lorsque la tension et l’enjeu sont élevés, il peut être très dur de rentrer dans son match. C'est pourquoi, on assiste parfois à des finales à sens unique, car il s’agit d’un moment compliqué", précise l’ancienne joueuse.

La fin programmée des matchs en cinq sets ?

Mais la tendance actuelle est plus à une volonté de raccourcir les matchs chez les hommes, que de les allonger chez les femmes. À l’occasion des ATP Finales fin 2020 à Londres, le numéro 1 mondial Novak Djokovic disait être un "partisan des matchs en deux sets gagnants".

Une idée qui n’enchante guère Justine Henin : "Ce rapport au temps m’inquiète. Il faut répondre aux désirs d’une société qui va de plus en plus vite, sur-consomme, zappe. Il faut sans cesse garder les gens en éveil", déplore-t-elle. "Je ne pense pas qu’il serait une bonne chose de faire jouer les hommes en deux sets gagnants."

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