Roland-Garros 2023 : les femmes toujours éclipsées des night sessions
Le progrès a ses limites. En instaurant à partir de l'édition 2021 des night sessions (comprenez des matchs en soirée), Roland-Garros a suivi l'exemple des autres grands tournois de tennis mondiaux, pour maximiser sa visibilité et doper ses recettes en droits TV. Un pas en avant, certes, mais un pas de travers, pour le moment. Car le tournoi de la porte d'Auteuil a pour l'instant pris une habitude : sur 26 sessions nocturnes, seules trois ont mis à l'honneur un match féminin.
En décembre dernier, un rapport du Comité d'éthique, de déontologie, de prévention et de traitement des conflits d'intérêts de la Fédération Française de Tennis (FFT) promettait pourtant l'équité en la matière, après avoir "pris note de la volonté sincère de la direction du Tournoi d'améliorer l'équilibre femmes-hommes". Résultat des courses : après six night sessions (sur les 10 prévues), aucun match féminin n'a été choisi. Et ce malgré la présence d'Amélie Mauresmo à la direction du tournoi depuis deux ans.
Des matchs jugés trop courts
Ancienne numéro un mondiale, la Française se sait particulièrement attendue sur le sujet. Quelques semaines avant l'ouverture de la quinzaine porte d'Auteuil, elle tempérait toutefois son poids sur ces décisions, au micro de la BBC : "Pour être honnête, je ne suis pas en mesure de vous dire quoi que ce soit sur le nombre de matches masculins ou féminins. Je pense qu'il faut d'abord attendre les tirages au sort et les confrontations directes chaque jour, car c'est vraiment ce qui nous pousse à faire un choix, savoir quel match sera le plus important de la journée."
Dans cette prise de décision, un point de règlement pèse lourd : le nombre de sets disputés. Pour rappel, chez les hommes, les rencontres se jouent en trois sets gagnants (donc trois minimum), contre deux chez les femmes. En conséquence : les matchs féminins sont plus courts, ce qui est moins vendeur pour les diffuseurs, et qui peut frustrer les spectateurs ayant payé leur place pour une seule rencontre. Même si rien n'est écrit d'avance : la rencontre entre Jannik Sinner et Alexandre Müller, programmée en soirée le 29 mai dernier, a été expédiée en 1h46…
Autre argument avancé : la supposée absence de stars dans le circuit féminin actuel. C'est d'ailleurs ce qu'avouait à demi-mots Amélie Mauresmo l'an dernier en conférence de presse : "Dans l'ère dans laquelle nous sommes en ce moment, et en tant que femme, aussi en tant qu'ancienne joueuse, je ne me sens pas mal ou je ne trouve pas ça injuste de dire qu'aujourd'hui, il y a plus d'attrait pour les matchs masculins".
Avant de poursuivre : "Mon objectif, lorsque j'ai commencé la programmation au jour le jour, c'était d'essayer de voir quels seraient les matchs du tableau féminin qui pourraient être présentés en session de nuit. Vous voyez les oppositions, les confrontations ou les stars que l'on pouvait identifier comme étant en session de nuit". Ainsi, la directrice du tournoi avait choisi une seule rencontre féminine l'an passé en night session, entre Alizé Cornet et Jelena Ostapenko. Un honneur qui avait été accordé en 2021 à Serena Williams (face à Irina Begu) et Iga Swiatek (contre Marta Kostyuk).
Les joueuses s'interrogent
Alors, comment remédier au problème, pour un tournoi qui a déjà démontré sa volonté d'équité en hissant le prize money du tableau féminin au même niveau que le masculin depuis 2007. Contacté, la FFT n'a pas donné suite à nos sollicitations, mais le modèle australien pourrait être l'exemple à suivre. À Melbourne, les night sessions comprennent en effet deux rencontres, ce qui permet au tournoi féminin de cohabiter avec le masculin, en soirée, sans froisser les ayants droit ni les spectateurs. Une piste qui pourrait permettre à Roland-Garros d'avancer, et de combler les attentes des joueuses.
Dans les travées de la porte d'Auteuil, ces night sessions chasse gardée des hommes font en effet parler. "On essaie toujours de parler avec l'organisation du tournoi à ce sujet, assure ainsi Jessica Pegula, numéro 3 mondiale. J'espère qu'on va pouvoir corriger cela, qu'on pourra avoir une programmation de matchs féminins, parce que je pense qu'on peut également avoir des matchs haletants le soir avec les femmes". Si, d'un point de vue personnel, elle ne souhaite pas jouer en soirée, la numéro un mondiale Iga Swiatek embraye : "Ce serait bien, bien sûr, d'avoir des matchs de nuit avec des femmes".
Des rencontres que la numéro deux mondiale, Aryna Sabalenka, disputerait avec plaisir : "Je serais heureuse de jouer les premiers matchs ou séances de nuit". Pour cela, il va falloir que les lignes bougent sur la terre battue parisienne. Car après trois ans d'existence (dont une première année délicate à cause du couvre-feu lié au Covid), les night sessions, avancées d'une heure cette année, n'ont pas encore trouvé la formule pour satisfaire tout le monde et atteindre la promesse d'équité.
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