Une kiné jugée pour avoir induit de faux souvenirs
De kinésithérapie, les séances se muaient en une sorte de psychothérapie sauvage. Cinq patientes ont décrit le même mécanisme d'emprise. Fragiles avant leur rencontre avec la thérapeute, elles ont sombré dans un état de dépendance psychologique après avoir rompu avec un entourage qui leur était présenté comme à l'origine de tous leurs maux.
Poursuivie pour abus de faiblesse, la praticienne nie les accusations en bloc. Son avocate, Me Marie Dosé, plaide la relaxe.
Le niveau d'éducation ne protège pas contre l'emprise
Comme le note la juge d'instruction de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris, cette affaire se distingue par le profil des plaignantes et témoins : "Pour la plupart issus de milieux socio-professionnels privilégiés", ayant fait des études. Preuve, s’il en est, que le niveau d’éducation ne prémunit pas contre les stratégies d'emprise qui ont vraisemblablement été utilisées.
En effet, pour l'accusation, il s'agit de "faux souvenirs induits" : une technique de "manipulation mentale" qui consiste à faire croire à une personne que sa souffrance psychologique provient d'un événement dont elle a perdu le souvenir – comme l'ont expliqué pendant l'enquête les responsables d'associations qui luttent contre le phénomène.
Faux souvenirs induits ?
La mémoire est modelable, modifiable, falsifiable. C’est la raison pour laquelle des thérapies spécialement conçues pour faire ressurgir des "souvenirs enfouis" sont interdites par de nombreuses associations professionnelles de psychologues, outre-Manche ou outre-Atlantique.
Les faux souvenirs induits, qui peuvent émerger dans des situations particulières de fragilité psychologique et de soumission à l’autorité (séances d’hypnose, de psychanalyse, voire dans une autre mesure lors d’interrogatoires policiers…) ont une réalité avérée par de très nombreuses recherches en psychologie. Les "thérapies de la mémoire retrouvée" ne sont pas à confondre avec les situations dans lesquelles d’authentiques souvenirs ressurgissent brutalement dans certains contextes (retour sur les lieux de son enfance, par exemple).
Donner l'argent "malsain" pour le "libérer des ondes"
Dans le cas des patients de la kinésithérapeute, les faux souvenirs apparaissent généralement concerner des faits d'inceste ou de maltraitances soi-disant subis durant l'enfance. C'est ainsi que l'une des plaignantes a accusé à tort son père de l'avoir violée. La thérapeute "m'a fait comprendre que ma mère avait cherché à me tuer, quand j'étais dans son ventre", a déclaré une autre…
Outre les 100 euros en espèces à chaque consultation, certaines patientes ont donné beaucoup d'argent à leur thérapeute. L'une lui a par exemple versé la totalité de son indemnité de licenciement: 75.000 euros.
Selon le récit d'une autre patiente, qui avait également été licenciée, la prévenue lui avait demandé de se débarrasser de cet argent "qui représentait la "sécurité" et l'empêchait d'avancer. Et si elle voulait le donner à des associations, il fallait qu'elle lui donne cet argent "malsain" pour le "purifier", le "libérer des ondes".
Difficile d'admettre que l'on est victime
L'une des membres du "groupe" gravitant autour de la thérapeute, décrit comme sectaire, lui avait cédé son appartement pour 61.000 euros, revendu deux ans plus tard sept fois plus cher, sans qu'elle ne trouve rien à y redire (cette personne n’est pas partie civile).
L'une des patientes avait remis de fortes sommes d'argent en liquide à la thérapeute, issues de la vente de stock-options, qui avoisineraient 750.000 euros. Cette femme s'est, elle, constituée partie civile, mais refuse d'être considérée comme une victime. Elle avait accusé ses parents d'être à la tête d'un réseau pédophile, a parlé d'orgies, de sacrifices d'enfants, d'avortements forcés, d'expériences sur le cerveau, de magie noire...
A l'issue des investigations sur le patrimoine de la prévenue, eu égard à son train de vie élevé, les enquêteurs pensent, compte tenu de ses nombreux voyages en Thaïlande et au Laos, que l'argent a été investi ou conservé à l'étranger.
Des faux souvenirs peuvent être induits dans de nombreux contextes, y compris… dans des interrogatoires de police : des demandes insistantes, des suggestions destinées à créer des doutes dans le déroulé des évènements, peuvent bouleverser un témoignage. Policiers, juges et avocats sont théoriquement sensibilisés à ces questions, afin que les faits remémorés soient le plus fidèles à la "trace mnésique" originale des témoins.
avec AFP
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