Pourquoi il y a eu une telle frénésie autour de la promotion sur les pots de Nutella cette semaine
Un rabais sur la célèbre pâte à tartiner a suscité une vague d'émeutes dans plusieurs supermarchés de l'enseigne Intermarché.
"Les gens se sautaient dessus et semblaient affamés. J'ai même vu une femme avec des griffures sur son bras !" Des bousculades spectaculaires ont eu lieu, jeudi 25 janvier, dans des supermarchés de l'enseigne Intermarché, un peu partout en France. La raison ? Une offre promotionnelle de 70% de réduction sur le prix du Nutella... Soit le pot de 950 grammes à 1,41 euro. "A 8h15, il y avait déjà une file d'attente de 200 personnes devant le magasin", raconte une salariée de la chaîne de supermarchés, interrogée par franceinfo. Plusieurs clients en sont même venus aux mains, comme à Ostricourt (Nord), obligeant la gendarmerie à intervenir.
Les vidéos des mouvements de foule n'ont pas tardé à se répandre sur les réseaux sociaux, suscitant des réactions indignées voire même dépitées de nombreux internautes, se désolant de ces comportements.
Eh mais j'suis en larmes les gens sont cinglés, à un moment on voit que ça travaille en équipe pour ramasser le plus de pots de Nutella possible pic.twitter.com/TyzBVbu9fl
— The badass panda (@thisisaeron) 25 janvier 2018
Mais comment expliquer que ce petit pot de pâte à tartiner ait pu susciter un tel engouement ? Pourquoi cette promotion a-t-elle rendu les clients aussi agressifs ? Franceinfo vous propose trois pistes de réponses.
Parce que les consommateurs ont été mis "en compétition"
C'est par un encart dans la presse que l'opération avait été communiquée. Prévue pour durer 3 jours, du 25 au 27 janvier, elle a peu à peu été largement relayée sur les réseaux sociaux, suscitant même la surprise de certains internautes. A l'image de "Mira", dont le post Twitter a été massivement diffusé. Interrogée par Le Point, elle assure : "C'était pour rigoler, je pensais que ça passerait inaperçu, mais 16 000 personnes l'ont retweeté."
Wsh y'a le pot de Nutella a 1,40€ au lieu de 4,50€ à Intermarché du 25 au 27 janvier, profitez en, faites passer le message mdrrr
— mira (@Hvratm) 22 janvier 2018
Petit à petit, l'information a gagné en ampleur, jusqu'à créer une peur de manquer, liée à ce que Lionel Sitz appelle le "marketing de la rareté". Ce professeur de marketing à l'EM Lyon l'explique à franceinfo : "Les annonces de ruptures de stock sont des techniques de communication qui fonctionnent bien, avec un effet performatif immédiat." En résumé, la crainte de ne pas avoir accès au produit le rend encore plus alléchant. C'est ce que confirme Dominique Desjeux, anthropologue et professeur à la Sorbonne, interrogé par franceinfo : "Il y a ce qu’on appelle en sociologie les 'conséquences inattendues' : on voit quelqu’un avoir quelque chose et on le veut à notre tour. Ces bousculades arrivent parce que beaucoup de gens veulent la même chose au même moment."
Dans Le Parisien, l'anthropologue Sophie Chevalier parle même d'une "forme de compétition" créée par Intermarché due à la limitation des achats "à trois produits par personne". Elle fait part de sa sidération, affirmant que l'on voit habituellement ce genre de scènes "dans des pays en voie de développement". Preuve, pour d'autres, que l'explication est d'origine sociale.
Parce que c'était une aubaine pour les ménages modestes
Certains ont tenté de prendre du recul en cherchant à comprendre les causes de telles émeutes. Pour certains, la raison est à chercher du côté de la misère sociale, qui forcerait des pères et mères de familles à se battre pour quelques maigres économies. Vendredi, Jean-Luc Mélenchon a ainsi tweeté : "Quand l'émeute montre la misère l'idiot regarde le #Nutella !" Un autre internaute, cité dans un article de Slate, rappelle le taux de chômage des régions concernées par les échauffourées.
Au dela de "Ouh, les cassos, ils se battent pour un pot de #Nutella..."
— ObjectifOcéan (@objectifocean) 25 janvier 2018
Regardez le taux de chômage autour des #intermarché en question.
Ostricourt 20%
Roubaix 30%
Wingles 20%
Marles-les-Mines 27%
Saint-chamond 20%
Saint-Cyprien 25%
Rive-de-Gier 20%
Voilà...
(source Insee 2014) pic.twitter.com/L2klnn5J9Y
Sur le plateau de franceinfo, le député européen Yannick Jadot a lui aussi pointé l'importance du contexte social afin d'expliquer les émeutes qui se sont produites : "On a un vrai problème de pouvoir d'achat. Pour de nombreux Français, y compris pour accéder à des produits qui ont une forte réputation".
Coup de folie autour du #Nutella : "c'est inquiétant, c'est assez effrayant sur le fait que des gens se mettent dans une telle situation et sur un tel modèle de consommation" s'inquiète Yannick Jadot, eurodéputé écologiste #8h30Politique pic.twitter.com/BYObsuvy3M
— franceinfo (@franceinfo) 26 janvier 2018
L'anthropologue Dominique Desjeux abonde : "Cela paraît surprenant au premier abord que des gens soient prêts à se battre pour quelques euros d'économies. Mais depuis 2000, il ne faut pas oublier qu'il y a une baisse du pouvoir d’achat. Il y a toute une partie de la classe moyenne basse qui a du mal à boucler les fins de mois." Au regard du dernier rapport annuel de l'Observatoire des inégalités, on observe en effet un accroissement de 950 000 à 1,2 million de pauvres entre 2004 et 2014.
Parce que Nutella est une marque "iconique"
Pour Dominique Desjeux, il est clair que le succès de la promotion était largement lié au produit lui-même : "Si on avait fait ces promos sur des corn-flakes ou des cornichons, on n'aurait sans doute pas eu les mêmes émeutes". Le professeur de marketing Lionel Sitz abonde, rappelant que Nutella bénéficie d'une image exceptionnelle dans l'opinion française : "C’est une marque iconique et donc, par essence, désirée par les gens. Cette pâte à tartiner est très appréciée car elle a une histoire particulière. C’est aussi un pot, reconnaissable entre tous, qui n’a quasiment pas changé depuis les années 1960."
Surtout, il s'agit d'une marque familiale, qui s'est imposée dans les foyers. "Elle est prioritairement destinée aux enfants", souligne Lionel Sitz. Ce qui a sans doute accentué l'engouement des parents, qui préfèrent généralement "être fidèles aux mêmes marques". "Je dois reconnaître que mes gamins n'aiment pas autant la pâte alternative que celle du Nutella", a ainsi confié Yannick Jadot, sur franceinfo.
Pour autant, les événements de ces derniers jours n'ont pas ravi la marque du groupe Ferrero. Dans un communiqué, elle a déploré "l'opération et ses conséquences qui créent confusion et déception dans l'esprit des consommateurs."
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