"Si c'est pour manger des frites congelées..." : quand l’île d’Oléron se déchire autour de l'arrivée d’un McDonald's
Le géant américain de la restauration rapide se heurte depuis 2014 à l’opposition farouche du maire de Dolus d’Oléron de voir arriver un fast-food sur sa commune. Débouté devant le tribunal administratif, l’édile doit maintenant faire face aux pro-McDo.
Pas un restaurant d'ouvert. Lundi 27 novembre, le centre de la petite commune de Dolus d'Oléron a des allures de ville morte. Pour le visiteur qui souhaite déjeuner, il faut se rabattre sur un sandwich froid de l'Intermarché de cette ville de 3 200 habitants. C'est précisément à quelques encablures de l'enseigne de grande distribution que McDonald's cherche à s'implanter depuis 2014. Le géant américain de la restauration rapide rêve d'y installer le premier McDo d'Oléron. Pour manger un Big Mac, les Oléronais doivent pour le moment prendre le volant direction Marennes, sur le continent, à une vingtaine de minutes de voiture.
Cette absence de concurrence sur l'île aiguise les appétits de la multinationale, car le marché est potentiellement très lucratif : la population de l'île passe de 30 000 personnes en basse saison à 200 000 l'été. Oui, mais voilà, McDonald's a croisé sur son chemin un obstacle de taille : le maire de Dolus, Grégory Gendre, qui refuse obstinément de délivrer le précieux permis de construire.
"On serait la première île de l'Atlantique à accueillir un McDo"
"Pourquoi il va pas à l’île de Ré ?" Attablée, mardi 28 novembre, dans un café du centre de Dolus, Lili vient d'interrompre Donato, le gérant du lieu, qui explique depuis quelques minutes que "non, ça ne le dérange pas du tout" de voir McDonald's s’installer sur l’île. Mais Lili, elle, ça ne lui plaît pas. Avec son amie Antoinette, cette retraitée n’a pas du tout envie de voir débarquer la célèbre enseigne américaine. "On n'en a pas besoin sur l’île", assure-t-elle. "Pour manger des frites congelées, franchement, c’est pas la peine, je peux faire ça chez moi", renchérit Antoinette. Toutes les deux soutiennent le maire, Grégory Gendre, dans son combat contre McDonald's.
Il ne faut pas que la mairie s’abaisse. Il ne faut pas que la firme soit toute-puissante
Lili, habitante de Dolus d'Oléronà franceinfo
Le maire n'a précisément aucune intention de "s'abaisser". Dans son petit bureau, les dessins d'enfants côtoient des affiches engagées, comme une intitulée "Changer d’air, changer d’ère", sur laquelle une statue de la Liberté arbore un masque et un tuba pour respirer. Ancien journaliste économique, ex-militant de Greenpeace, fondateur de l’association "Roule ma frite" qui recycle l’huile de friture des restaurateurs ou des cantines scolaires, il se sait "marqué au fer vert". L’élu de 39 ans mène une campagne active contre le McDo.
Grégory Gendre a déjà pris trois arrêtés de refus de permis de construire du McDo en mai 2014, juste après son élection, puis en avril 2015 et en août 2016. "Le programme sur lequel on a été élus et sur lesquels les gens ont voté, c’est de soutenir une agriculture durable et des circuits courts, explique Grégory Gendre. Les fonds d’investissement détenteurs de McDo font un métier d’investisseurs et aujourd’hui, on ne peut pas cautionner ce modèle." L'élu confesse aisément être allé manger au McDo "deux-trois fois" pendant ses années étudiantes. "J'y suis retourné en 2015 pour me remettre au goût du jour par rapport à notre actualité sur Dolus". Bilan : il avait à nouveau "la dalle deux heures après".
Ç'aurait été Burger King, ç'aurait été la même chose, à partir du moment où c’est les mêmes réflexes qu’ils ont à droite, à gauche.
Grégory Gendre, maire de Dolus d'Oléronà franceinfo
Grégory Gendre assure pouvoir compter sur le soutien de ses administrés et brandit pour cela une consultation organisée en 2015, où 97 personnes sur 137 s'étaient prononcées contre le McDo. "C'est de la malbouffe, on n'en a pas besoin ici", lâche Cédric, infirmier libéral, l'un des opposants croisés dans les rues de Dolus. "Depuis le début, on soutient le maire, nous les paysans locaux mais aussi les restaurateurs", indique également Jean-François Périgné, mytiliculteur à Oléron et secrétaire national de la Confédération paysanne. "On serait la première île de l'Atlantique à accueillir un McDo et on ne veut pas", ajoute-t-il.
Un projet accidentogène ?
Mais, devant le tribunal, Grégory Gendre n'a pas pu faire valoir ses seules convictions. Pour empêcher le géant du fast-food de s'installer, il a donc soulevé la question de la circulation qu'engendrerait un McDonald's. "On a pris les chiffres de McDo, c'est 100 à 120 véhicules par jour, ça ne rentre pas. Déjà l'été, c'est un bordel sans nom", dit-il. Son équipe a même réalisé une vidéo pour prouver le caractère accidentogène du projet.
"C'est un faux argument, cette histoire de parking, il y a largement assez de places, balaye le propriétaire du terrain, Philippe Villa, ancien candidat aux municipales. Dans un permis de construire, l'idéologie n'a pas sa place". L'homme est un peu le porte-parole officieux de la firme américaine, qui refuse de s'exprimer sur le sujet, et avec laquelle il a "re-signé une convention de location pour trois ans". "En plus, le site est dédié à ce genre d'installations, on ne vient pas polluer l'environnement", ajoute-t-il. Le futur McDo se situerait en effet en pleine zone commerciale, derrière un Gifi et non loin d'un Intermarché. Pas vraiment un écrin naturel.
Philippe Villa n'a pas eu de chance. A quelques semaines près, le permis de construire aurait pu être délivré par Manuel Rama, ancien adjoint à l'urbanisme. "J'ai signé le premier en 2014, il manquait juste un document pour que ça passe", regrette-t-il.
C'est quelqu'un de très anarchiste, le maire. Il cherche à se faire un nom, mais à la fin c'est McDo qui va gagner car là, c'est du délit de sale gueule.
Manuel Rama, ancien adjoint à l'urbanisme de Dolus d'Oléronà franceinfo
Les arguments de McDonald's ont en tout cas été entendus par le tribunal administratif qui, le 21 septembre, a ordonné au maire de délivrer un permis de construire. En vain. Depuis le 22 octobre, la petite commune ostréicole doit payer des pénalités de retard qui s'élèvent à 300 euros par jour. Le maire et ses adjoints ont mis la main à la poche pour payer le premier mois d’astreinte, soit 9 000 euros. Grégory Gendre a lui-même versé 5 000 euros. La municipalité a, depuis, provisionné 131 000 euros pour couvrir les pénalités de 2018, en attendant l'examen de son appel.
"On devrait avoir le choix de pouvoir y manger ou non"
Cette obstination a fédéré les pro-McDo, qui ont créé une page Facebook, suivie par 3 000 personnes. "L'élément déclencheur, ç'a été les 300 euros d'astreinte, on s'est demandé dans quoi la mairie s'était embarquée", raconte Val Vanrechem, la créatrice du groupe. "On est en démocratie, pas en dictature ! On devrait avoir de choix de pouvoir y manger ou non", dit-elle.
Au nom de quelle idéologie on nous interdirait d'avoir un McDo ?
Val Vanrechem, créatrice d'un groupe pro McDo sur Facebookà franceinfo
"McDo, c'est pas le diable. On ne parle que d'un petit McDo, pas d'une centrale nucléaire ! ", renchérit Dominique, l'un des administrateurs du groupe. "Et puis il y a quoi pour les jeunes sur l'île d'Oléron ? C'est une île de vieux, il n'y a plus rien. En plus, dans une région sinistrée, ça peut générer 40 CDI et 30 CDD l'été", développe-t-il. Le maire, lui, au contraire, prédit que "cette création nette de contrats à 20 heures par semaine entraînera des disparitions d'emplois sur d'autres structures".
Grégory Gendre est néanmoins bien conscient qu'il manque un établissement pour les jeunes. "Quand on a fait ce choix de ne pas signer le permis, on s'est dit qu'il manquait un élément où ils peuvent squatter, manger pour pas cher et avoir du wifi gratuit", explique-t-il. "Lors d'un footing", germe dans son esprit le futur nom du lieu : le McDolus, un restaurant associatif qui serait installé sur le terrain d'une ancienne colonie de vacances. Jean-François Périgné espère voir cette "offre alternative" sortir de terre fin 2018 : "Ce sera un McDo plus, avec les mêmes tranches horaires et le même service", assure le mytiliculteur. Une exception de taille : les burgers y seront faits uniquement avec des produits locaux.
En attendant de voir émerger le "McDol", le McDo a, lui, de grandes chances de s'installer sur l'île d'Oléron, selon ses promoteurs. "Tous les feux sont au vert, assure Philippe Villa. Pour moi, ça se fera, il n'y a aucune raison." C'est maintenant à la cour d'appel de Bordeaux de trancher cette épineuse affaire.
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